Tawsen va (enfin) vous faire aimer la « pop urbaine »
21 mai 2018
Martin Vachiery
A 21 ans, ce jeune italo-marocain-bruxellois est peut-être en train de changer le visage d’un style musical encore mal identifié: la “pop urbaine”. Chanteur aux influences multiples, inspiré par le raï, la pop US et le rap français, son style est unique. Alors s’il fallait trouver un artiste pour illustrer ce courant et lui donner tout son sens, Tawsen pourrait bien faire le job.
Il cite la Sexion d’Assaut et Harry Potter comme références culturelles, autant dire que ce n’était pas gagné d’avance. Pourtant en seulement quatre morceaux, Tawsen laisse déjà entrevoir un énorme potentiel artistique. L’occasion d’aller le rencontrer et remonter le fil de sa vie sur une petite terrasse au soleil.
Bon déjà pour commencer avec une question bien relou (en vrai c’était la dernière question, mais c’est mieux pour démarrer l’article, NDA) Tawsen c’est ton vrai nom ?
C’est un nom de scène qui vient de mon nom de famille “Taws” qui veut dire “le paon” en arabe, c’est un nom très répandu au Maghreb. Et j’ai rajouté “-en” parce qu’en arabe ça illustre deux idées différentes, pour jouer sur la dualité entre le chant et le rap.
Sur le morceau “Pas pour moi”, tu dis: “La galère je l’ai côtoyé pendant des années // tout ce que j’ai je l’ai mérité je ne l’ai pas volé” c’est un thème assez classique, mais moi ça m’intéresse de savoir ce qu’il y a vraiment derrière ces deux phrases ?
A un moment de ma vie j’ai dû tout recommencer à zéro. Je ne suis pas d’ici. Je suis arrivé d’Italie à l’âge de 11 ans. Et quand tu as cet âge là, que tu débarques dans une ville que tu connais pas (Bruxelles), tu dois tout reconstruire. C’est ce que je voulais exprimer comme sentiment.
Donc c’est pas juste une formule, c’est du vécu…
A 2000% ! Quand j’ai écris ça je me suis dit que c’était la meilleure façon d’exprimer ce sentiment. Je ne suis là par hasard, j’ai beaucoup travaillé pour me lancer dans la musique.
C’était comment ton enfance en Italie ?
On vivait avec trois familles arabes et une famille sénégalaise dans un même bâtiment, dans un tout petit village de 150 personnes, au nord de l’Italie, près de Milan. Moi je suis d’origine marocaine, donc quand tu te retrouves à être le seul arabe de l’école t’es déjà un peu perdu.
Et t’es encore plus perdu quand tu débarques à Bruxelles.
Déjà, passer d’une centaine à un million d’habitants oui c’est perturbant. Mais ce qui était encore plus surprenant c’est quand j’ai débarqué dans la commune d’Anderlecht. J’arrive dans un quartier dit “populaire” où je suis entouré par plein de familles marocaines. Donc à ce moment là, je ne parle pas encore français, je me sens italien, mais tout le monde me parle en arabe. C’est déboussolant.
Au moment où tu arrives ici, quelle est la place la musique dans ta vie ?
On est pas vraiment une famille branchée musique, mes parents écoutaient juste des chants religieux. Donc je découvre tout ça ici ! Surtout le rap, c’est ça ma première claque musicale. A ce moment là, vers 2008, je commence à écouter Black Eyed Peas, Young Money, Nicki Minaj. Puis après je viens au rap français. Par exemple j’ai appris à parler français en écoutant la Sexion d’Assaut.
Ah ouais ? C’est plutôt marrant ça… Donc on peut parler correctement français en écoutant du rap français ?
(Il rigole) Ouais, c’est comme ça que j’ai commencé. Puis j’ai beaucoup écouté “Noir Désir”, l’album de Youssoupha; ça m’a aidé à construire ma culture musicale et améliorer mon vocabulaire. Ça et Harry Potter.
Du rap et Harry Potter, c’est ça ton école culturelle ?
J’ai tout appris grâce à ça, c’était mes deux grandes sources d’inspiration et d’éducation.
Perso, j’ai jamais trop lu Harry Potter, mais en gros l’idée c’est “faut foncer dans des murs pour accomplir ses rêves”, ça t’inspire ?
Bien sûr ! Quand tu cherches tes repères, quand tu traînes trop souvent avec tes potes, tu te retrouves exposé aux conneries. Et faut sortir de ça. Quand j’ai subi mon premier contrôle de police, sans raison particulière je précise, mon père m’a solidement recadré. Et là j’ai décidé de me lancer à fond dans la littérature puis dans la musique.
Comment tu commences la musique ?
Comme souvent, un peu par hasard. Mes amis avaient un groupe de rap, on s’appelait les “Yonko” (comme dans One Piece). A ce moment là, je rappais comme beaucoup de jeunes, mais j’avais déjà envie de chanter. Alors quand je me suis retrouvé dans un petit studio avec eux, j’ai commencé à faire quelques refrains. Eux ont plus ou moins arrêté, et moi j’ai persévéré.
Ce qui est original avec toi, c’est que tu as un grain de voix très “raï”, puis parfois tu chantes en italien ou tu rappes… c’est un style plutôt original.
J’ai jamais calculé tout ça, c’est pas un style que je travaille. Mais je sais pas… j’ai peut-être ça en moi parce que je suis marocain (il rigole) ça doit couler dans mes veines comme les Congolais avec la rumba.
C’est marrant, Siboy nous disait la même chose aussi… .
Haha oui je lis tout moi tu sais ! Mais plus sérieusement, la musique raï c’est un style qui t’imprègne immédiatement. Il suffit de passer un peu de temps au Maroc pour être influencé par cette musique. Et ça, avec le mélange de ma culture italienne, c’est qui fait le “style Tawsen”.
Beaucoup de gens t’ont découvert dans l’épisode belge de Rentre dans le Cercle de Fianso, comment tu as vécu cette expérience ?
J’étais hyper stressé, clairement. On m’a proposé ça à la dernière minute, la veille du tournage. Et je me sentais pas capable de venir kicker, vu que je suis plus dans le chant. Mais je l’ai pris comme un défi. Alors j’ai accepté.
Et malheureusement, tu as posé ton texte avec le téléphone en main, grave erreur…
En fait j’étais à côté de Yanso, qui avait aussi été appelé la veille, et lui me dit “tu vas poser sans ton téléphone, tu stresses pas ?” Et du coup ben… ça m’a stressé (il rigole). Là je suis au milieu de plein de renois énervés qui me regardent bizarre, et je me suis dit “bon, je vais le faire avec mon téléphone”. Mais j’ai fait juste la partie chantée ! Juste après avoir posé, Roméo Elvis, Caballero et Isha sont venus me voir, ils m’ont félicité et ça m’a fait super plaisir. Je les connais tous et j’écoute leur musique.
Pas mal pour une première.
J’étais le plus jeune du Cercle, je débarque de nulle part, personne me connaît. Et avoir une forme de validation d’artistes comme eux, c’est un super coup de boost.
Bon tu connais les journalistes, ils ont la mauvaise habitude de vouloir classer les styles musicaux, donc j’imagine qu’on va dire que tu fais de la “pop urbaine”. Concrètement: ça veut dire quoi musicalement ?
Dans ma musique c’est 70% de chant et 30% de rap par exemple. Mais surtout je suis à la recherche d’un certain éclectisme. Je cultive cette image de caméléon, que ce soit dans les thèmes ou dans les genres musicaux qui m’inspirent.
Ce qui est marrant quand je t’entends parler, c’est que j’ai l’impression que tu as déjà pas mal de recul et de lucidité sur l’industrie musicale, alors qu’à 21 ans tu pourrais juste être un jeune rêveur insouciant…
Ça me fait plaisir que tu dises ça, parce que ça reflète un peu ma vie. Je me nourris que de ça. J’écoute des projets, je regarde des interviews d’artistes, je fais presque plus que ça.
T’es un peu geek dans ton approche de la musique.
Clairement ! Je regarde presque plus de film ou de séries. Je vis à travers la musique. Quand je vais en studio je me pose beaucoup de questions sur les morceaux que je vais faire. “Est-ce que ça va marcher ?”, “est-ce que les gens vont comprendre mon délire ?” etc. Je me suis un peu réinventé musicalement, comme si j’étais un peu en stage d’apprentissage.
Quel artiste t’inspire ?
Moi je vise une carrière à la Stromae.
Ouais donc tu débordes pas trop d’ambition, t’as choisi un petit artiste local…
(il rigole) Non mais sérieusement, je préfère viser les étoiles pour retomber sur la lune.
Wow… c’est de toi ça ?
(il rigole) Franchement je sais pas !
Après vérification, cette phrase n’est évidemment pas de ce petit filou de Tawsen, mais bien une libre adaptation de la célèbre maxime d’Oscar Wilde: “Il faut toujours viser la lune, car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles.”
Pour en savoir plus sur cet artiste étonnant (Tawsen, pas Oscar Wilde), que certains observateurs voient déjà comme le next big thing, il faudra se plonger dans l’écoute de son premier projet, prévu pour l’automne 2018.
(Crédits photo: Thomas Haulotte)