Ico: jeune entertainer
17 juillet 2018
Martin Vachiery
A l’heure où certains voudraient absolument comparer ou classer les artistes selon leur style, on pourrait dire d’Ico qu’il est un jeune entrepreneur, devenu entertainer. Pas vraiment rappeur, mais quand même un peu, le jeune bruxellois de 25 ans maîtrise aussi bien les codes du business que de la musique. Rencontre avec un kid ambitieux de la Start’up Generation, qui préfère Maskey à Emmanuel Macron.
Autant vous dire tout de suite la vérité, quand on a entendu Ico la première fois, on a pas trouvé ça ouf. Puis de vidéos en vidéos, le personnage nous a intrigué, avant de nous fasciner complètement.
Alors, pour le rencontrer, on s’est donné rendez-vous dans un joli parc de Bruxelles (Square du Sablon, pour les connaisseurs), près d’un quartier qu’il a l’air d’apprécier.
Martin : Vu que tu tournes tous tes clips dans un rayon de 25m2, on s’est dit que ça te plairait de venir ici !
Ico : « (Il rigole) T’es un bâtard ! C’est juste qu’il n’y a pas mille beaux décors pour tourner à Bruxelles, comme j’aime beaucoup le panorama de la Place Poelaert (l’une des plus belles vues de Bruxelles), j’aime bien me poser ici »
Après lui faire remarquer qu’il a fait un effort pour le clip Dafalgan (en se déplaçant jusqu’à l’Atomium), Ico nous explique que « c’était une volonté de mettre Bruxelles en avant, comme une carte de visite ». Car une partie de son public ignorait encore qu’il était belge.
A partir de ce moment-là, on a compris que tout était bien calculé, et l’interview a plus ou moins tourné en cours de marketing, mais avec beaucoup plus d’humour et de détente que dans l’école de commerce où Ico vient d’obtenir son diplôme (la Solvay Business School, toujours pour les connaisseurs).
Martin : Les capsules que tu viens de balancer, c’est une façon de montrer à tout le monde que tu sais rapper et que c’est facile pour toi ?
Ico : « C’est exactement ça. C’est même encore plus arrogant, parce que je ne rappe même pas en fait…. Dans Nokia je dis 4 mots je crois. Je ne dénonce absolument rien, je parle de rien de concret. C’est une façon de dire regardez avec quoi je vais percer. Avant de produire un truc carré, produit, je vais vous donner ça. Mais dans les faits, évidemment que je n’ai pas encore percé. C’est un concept en fait, je vais percer en faisant de la merde. »
M : Donc on doit pas se faire chier à essayer de capter le sens du morceau Marshmalow en gros…
Ico : « Ah mais y en a qui forcent hein ! (il rigole) Certains m’envoient des messages genre Ouais il doit sûrement dénoncer la société de consommation, c’est pas possible qu’il soit juste con, bah si gros, je suis juste con ! »
M : Sauf qu’il y a de l’intelligence dans ta connerie, sinon c’est pas intéressant…
Ico : « Bien sûr, des rappeurs cons au premier degré y en a beaucoup, moi j’essaye de jouer sur ma connerie de façon intelligente. Si ce que tu fais marche, c’est que c’est bien construit, bien amené. Vald c’est le parfait exemple de cette tendance. Il est super fort pour ça. »
Alors plutôt que d’envoyer un album bâclé ou des projets enregistrés à l’arrache, Ico préfère prendre son temps : « Je veux qu’une sortie d’album se fasse rare. J’ai besoin que quand il sorte, ce soit un événement, pas juste une continuité de ce que j’ai sorti avant l’album ».
Et pour cet ancien beatmaker, l’aventure commence un peu comme le lancement d’une entreprise.
« Je ne m’estime pas être un bon rappeur, ni même rappeur tout simplement. J’ai entrepris cette démarche comme un business. Comme pour une start’up. J’ai fait une sorte d’étude de marché, pour répondre à un besoin, dans la région où je me trouve. Et là je me suis dit qu’est-ce que je pourrais faire pour que ça marche. J’ai posé trois constats : 1) le rap conscient c’est mort ; 2) la musique j’en compose, je sais comment en faire et 3) j’aime faire rigoler mes potes. J’ai pris les deux derniers éléments, et je me suis lancé. »
M : Je t’ai vu dans une vidéo (chez nos potes de White Tees) où tu tenais des grands discours de Start’up nation, est-ce que t’as des posters d’Emmanuel Macron chez toi ?
Ico : (il rigole) « Naaaan haha je suis loin de ce gars-là ! Mais c’est juste pour donner un peu de profondeur à ce que je fais. Sinon t’imagines… je fais des grands discours d’entrepreneurs puis je rappe avec des marshmallows dans la bouche, quelle cohérence ? Je le fais pas dans les sons, alors grâce aux interviews ça donne du relief à mon travail artistique. Ça permet aux gens de se poser des questions. »
Bon, raconté comme ça, on pourrait croire que c’est super simple. Mais tout ne s’est pas passé aussi bien que prévu. Après avoir bossé dans une grosse boîte de business, acheté une grosse voiture… Ico s’est dit qu’il n’était pas si heureux que ça, et qu’il allait prendre quelques risques. Son premier projet ne marche pas trop, mais il n’abandonne pas pour autant.
« Pour moi il fallait envisager la musique comme un nouveau défi commercial. Limite ça me fait chier de tenir des discours de réussite sur le fait de percer ou pas, mais ce que je ressens, je fais cette musique pour en vivre ».
Ico n’a pas de poster de Manu dans sa chambre, on l’a bien compris, l’une de ses sources d’inspiration ce serait plutôt le Youtubeur Maskey. Un créateur qu’on apprécie particulièrement chez Check, qui maîtrise les prods, le sens du second degré et du « méta-rap » comme le jeune bruxellois.
« C’est peut-être pas un hasard si c’est l’un des premiers à m’avoir soutenu. Il est clairement dans mon délire, on se parle souvent. D’ailleurs dans une de ses vidéos, il rappe avec de l’eau dans la bouche. C’était mon idée ! (il rigole) Je lui ai écrit pour lui dire bâtard, tu m’as niqué mon prochain son ! »
Mais le jeune entertainer a d’autres idées en tête, là il est en train de préparer son premier album, qu’il compose comme une bonne recette de cuisine.
M : Tu prépares quel genre de truc ?
Ico : « Mon album c’est un grand couscous. Avec une dizaine de légumes et plein de saveurs différentes. Et y a même un son où je rappe en arabe. »
M : T’es sûr que c’est bon pour ton business que les gens sachent que t’es rebeu ?
Ico : (il rigole) « J’hésite à l’appeler Couscous, mais les gens ne sont pas assez prêts pour ça. Avec un morceau bonus, supplément Harissa. »
Comme Ico maîtrise le business et les codes du rap, il ne va évidemment pas s’embarrasser d’une encombrante annonce de date de sortie pour son album. Disons simplement qu’il prend son temps, et qu’il viendra nous en parler dans un Check Mag spécial.
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(Crédits photo: Thomas Haulotte)