Laylow, homme de l’année – Check

Laylow, homme de l’année

20 février 2019

Lola Levent

En 2018, Laylow se disait « l’homme de l’année », mais on est persuadés qu’il est aussi celui des années à venir. En attendant de le voir continuer à évoluer, on a voulu s’immiscer dans la conversation que le rappeur semble entretenir avec le monde qui l’entoure pour en savoir plus sur l’artiste lui-même, son parcours et son imaginaire.

Après avoir sorti Mercy et Digitalova, Laylow est resté fidèle à son format dix titres pour revenir en 2018 avec deux projets jumeaux, .RAW et .RAW-Z. « À vif », « brut » ou « cru », selon comment on l’entend, ce titre (concept ?) permet à peine d’oublier à quel point l’esthétique travaillée par le rappeur dans ses projets et ses clips est pointue et recherchée. C’est que l’impulsivité de Laylow n’est pas offensive, pas plus que sa mélancolie robotisée n’est froide, et bien cruel est le destin de celui qui traverse l’hiver sans ces deux projets dans ses écouteurs.

Les chansons de Laylow sont des ovnis c’est vrai, sortes de hits intimistes où l’atmosphère de fin de soirée entraîne la confidence et où l’égotrip compense la solitude des promenades nocturnes. Mais de morceaux en morceaux, les beats nous font des appels de phare et l’autotune devient cet ornement clinquant indispensable pour nous sortir de la noirceur. En featuring avec Wit., Madd, ou en solo, le rappeur intrigue, captive, intrigue de nouveau. Rencontre.

Qu’est-ce qui s’est passé pour toi entre 2013 et 2016 ?

On m’a rendu mon contrat, et c’est là qu’est né le nouveau Laylow. Quand t’es en label, que t’es jeune, que tu ne fais pas de ventes, et que t’es un peu éparpillé… On te dit : « c’est bon les gars, ciao ».  J’ai donc fait quelque chose de complètement différent, je suis parti du plus brut, du plus « niqué » et depuis 2016 j’ai l’impression que j’affine de plus en plus ce délire « niqué ».

Tu ne travailles plus du tout avec Sir’Klo ?

C’est juste qu’il est à Toulouse, mais il prépare un retour. On s’est moins vus mais on a fait un morceau sur Digitalova et j’espère que je pourrai faire un bon son avec lui quand on en aura le temps.

Est-ce qu’à cette période où ton univers musical se transforme tu es inspiré par ce qui se passe aux États-Unis ?

Oui, c’est vrai qu’il y avait des trucs qui commençaient à se créer dans ces années-là. Je crois que quand Kanye a sorti Yeezus, ça m’a matrixé. C’étaient des sonorités que j’aimais bien mais je n’aurais jamais cru que quelqu’un les sortirait comme ça ou aurait lâché des trucs aussi saturés ! Et en même temps, ça matche avec le moment où j’ai acheté mon premiers micro, donc moi-même j’essayais des effets dégueulasses qu’on peut entendre dans mes sons d’il y a trois ou quatre ans.

Tu dis que c’est le titre « Lime » qui t’a révélé. Pourquoi selon toi ?

Je me rappelle qu’on a clippé « Lime » un soir mais qu’Osman n’était pas très chaud, alors que moi je disais que j’aimais bien ce son, que je le sentais. Et je crois que le clip a bien fonctionné. À l’époque, ce délire avec les néons, c’était la bonne esthétique au bon moment. Et la prod’ était chaude. C’est un morceau de quatre minutes où ça kicke, il n’y a pas de refrain et je continue à le faire en concert alors que je l’ai sorti il y a super longtemps. C’est long mais la première lead est sombre, ça crée une ambiance oppressante.

Avec le recul, comment tu perçois le clip de « Volume Uno », qui fait dix-sept minutes ? Quelles étaient tes attentes à ce moment-là ?

C’était la première fois qu’on achetait une caméra avec Osman. On voulait expérimenter. Sur le moment on y croyait, on se disait qu’on pouvait peut-être faire un truc de ouf, un genre de film. Juste en mode, « on le fait », et c’est cool. On était dans le déni du format des majors. On voulait faire tout l’inverse d’un truc clean.

Tu peux me raconter l’histoire du titre « Jenny from da Blocka », avec Sneazzy et Jok’air ? Pour moi, c’était vraiment un tube.

J’ai encore fait un son avec Sneazzy hier ! C’est un gars avec qui je m’entends bien, on a une bonne relation. Sur Jenny from Da Blocka, il m’appelle et il m’envoie une prod’ que je trouve vite fait. Il me dit aussi qu’il y aura Jok’air et il sait qu’on est potos. Donc je fait une maquette chez moi, j’ai trouvé le « blocka-eh », les rimes, et… Drogba, comme d’habitude ! J’ai ramené les références 1990’s, Ja Rule, Nelly… Dans le prochain son qu’on a fait, on parle de « Dilemma », c’est la base tu vois ! Après, ils ont calé les couplets et comme tout le monde trouvait ça propre, on l’a clippé.

Est-ce que tu considères qu’aujourd’hui tu es en marge de ce qui se fait musicalement ?  

Moi, je fais mon délire. Je fais ma musique. Je ne me pose pas trop la question. Je sais pas moi, mais un photographe, c’est pas parce qu’il fait des super photos qu’il va se prendre en photo quand il va aux toilettes. Quand je fais de la merde, je vais pas forcément le sortir. Je donne juste le meilleur de moi. J’ai l’impression que le pera est de plus en plus écouté et qu’il y a de plus en plus de catégories de gens qui l’écoutent. On peut être de plus en plus nous-mêmes sans essayer de devenir pile un « rappeur comme il faut l’être ».

D’ailleurs, comme beaucoup de rappeurs, tu as été très productif récemment. Est-ce que c’est aussi lié à ton esthétique et à l’envie de présenter quelque chose de brut de décoffrage ?

Les sons, tu t’en lasses vite. Mieux vaut les sortir vite, tant que tu les kiffes, avant de douter. C’est l’un des avantages avec l’indépendance. Ce qui est plus difficile, c’est de s’organiser pour avoir assez de clips pour promouvoir ton projet. Il y a des cainris comme Young Thug, qui ont sorti plein de projets sans prendre bien le temps de faire de stratégies marketing, ça se voit qu’ils n’établissent pas bien le truc. Hier, je parlais avec Alpha Wann et on a fini par se dire que la France, c’est pas l’Amérique. Eux, ils lâchent des trucs, ils s’amusent et je suis impressionné par leur vitesse de production. Mais nous, on a nos propres codes, on fait gaffe aux mots, on est critique.

En parlant des États-Unis, est-ce que c’est un idéal qui te fait toujours fantasmer ?

Les States, c’est un peu comme dans les clips, donc  j’avais une impression de déjà vu. Mais il y a des trucs qui tuent. Les voitures. Le temps. Surtout à L.A. Mais sérieusement, le meilleur, c’est les voitures.

J’ai l’impression que tu te tournes quand même beaucoup vers d’autres influences et d’autres paysages désormais.

J’ai kiffé le Japon. C’est ouf, parce que c’est plus petit et que c’est un mode de pensée qui n’est pas occidental. Moi, je suis métis et chez moi il y a toujours eu des combats entre l’Europe et l’Afrique, le tiers-monde et le monde européen censé être ‘’tout propre’’. Ça ne débat que de ça. Alors je suis touché quand je vois que les asiatiques ont construit un truc impressionnant qui ne ressemble à rien d’autre.

Pour revenir sur cette histoire de voitures, qu’est-ce qui te plaît dans le bling-bling ? Qu’est-ce que ça signifie pour toi ?

J’aime le bling bling. Ca me rappelle la naïveté que j’avais quand j’étais petit. Quand j’ai découvert « Candy Shop » de 50Cent… On était calés devant la télé mon frère et moi, et mes yeux étaient grands comme ça. Je me suis dit : « putain, c’est trop beau ». Il y a quelque chose de social, de l’ordre de l’ascension, c’est vrai, mais c’est surtout qu’on fait partie d’une génération qui a connu les clichés du rap, et je les aime. Je crois que je ne les insulte pas, ils me plaisent. J’arrêterai jamais de louer des putains de voiture pour mes clips.

C’est ça qui est intéressant dans ton discours, c’est que tu joues avec le côté caricatural du bling-bling mais tu le tords en même temps, en soulignant que la voiture est louée, comme dans « Draxter ».

J’en ai un peu rien à foutre d’expliquer cet amour-là avec intelligence, j’étais devant cette télé et j’étais impressionné par ces objets et par ces noirs qui les avaient, c’est important ça aussi. Le renoi qui est dans une grosse voiture, c’est une victoire. Il a renversé le truc. C’est le renversement le plus logique et le plus basique c’est vrai, mais c’est raw de dingue. Il a eu son biff, il a pété son truc et voilà, fin de l’histoire.

En ce qui te concerne, comment est-ce que tu travailles avec ceux qui réalisent tes clips, TBMA ?

Je vais les voir avec les sons. On en parle, et c’est parti. On bosse ensemble depuis que j’ai rendu mon contrat, ça s’est même terminé comme ça. Ils voulaient que je fasse un truc avec un gros réalisateur et j’ai dit : « non, j’appelle mon pote ». On a commencé en disant qu’on n’allait travailler avec personne d’autre et faire le truc comme ça, entre potes.

Dans .RAW-Z, la chanson « Prince de sang-mêlé » m’a rappelé le morceau « Bâtard » de Stromae. À son instar, il y a quelque chose d’assez politique dans ta manière d’aborder la question du métissage.

J’ai kiffé cet album mais je ne me rappelle plus de ce son. Ce délire de métissage est spécial ma gueule ! Il y a plein de rappeurs métis, comme Booba que je kiffe trop, mais lui n’a jamais vraiment parlé de ça, il a surtout parlé des noirs, pas trop des métis. Dans « Prince de sang-mêlé », je dis qu’on me téma comme un minotaure, je trouvais que c’était une belle image. On est en 2019, les meufs aiment bien les tismés, ça, c’est cool, mais il y a d’autres moments où tu ne sais pas trop te positionner et où tu es en galère. Par exemple, quand je vais dans un repas dans ma famille coté français, ou à l’inverse,  quand je rentre au bled.

Ça me fait penser qu’il y a une interview où tu disais que ta mère t’avait interdit le rap. Est-ce qu’elle a changé d’avis ?

Depuis que je suis petit j’aime bien faire le show… mon frère faisait un peu de rap et moi je trouvais ça impressionnant et que la liberté que procurait le rap était stylée. Mais ma mère est ivoirienne, elle nous a plutôt éduqués genre : aller à l’école, faire des études… En Afrique, si tu dis que tu es artiste, on pense que t’es un drogué, que t’es un niqué. C’est pas un vrai travail. Pour elle, c’était des conneries mais maintenant il y a une industrie, elle comprend un petit peu plus. Elle a bien aimé « 10’ ».

Tu as sorti quatre projets de dix titres, soit quarante chansons, mais on a l’impression qu’il n’y a que sur la dernière de ton dernier projet, « Swish », que tu évoques vraiment ton histoire. Que s’est-il passé avec ce morceau ?

Je le kiffe. C’est kické, les gens kiffent ça aussi. C’est un prélude au projet d’après. Quand personne ne te connaît, tu n’arrives pas à raconter ta vie. Là, j’en suis à un stade où je me dis que ça peut être bien d’essayer d’aller chercher des trucs dans ce que j’ai vécu, d’expliquer un sentiment ou comment je fonctionne… Ce n’est pas complet du tout mais il y a des petites idées, des références à l’endroit où j’ai grandi, où il n’y avait pas beaucoup de gens de couleurs, où je me sentais un peu seul. Je voulais un peu expliquer ce truc-là dans « Swish », et ce qui s’est passé c’est que c’était le bon moment pour le faire.

Dans « Z-machine », tu dis : « Lay sera jamais ce tismé trop fédérateur », pourquoi pas ?

Parce que je sais qu’au fond je n’aurai pas toutes les cases requises pour être ce « tismé trop fédérateur ». Donc soit tu simules, tu fais genre t’as les cases, soit tu t’en bats les couilles. Moi, je crois que je m’en bats les couilles.


(Crédits photos Jalis2019)

Lola Levent

Lola Levent jongle entre poésie, critique d’art et journalisme musical. Dans ses rêves les plus fous, Jeff Koons aurait 0 vue sur son compte YouTube et le portrait de Ninho serait exposé en 4x3 au MOMA.