Oubliez Guizmo, écoutez Lamine Diakité
19 juin 2019
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A l’occasion de la sortie de son 9ème projet, on retrouve Guizmo au F.G.O au cœur du quartier de Barbès qu’il a beaucoup côtoyé, pour un concert accompagné de Soso Maness. Si la musique du rappeur à longtemps été remplie de doute et de rancœur envers le monde qui l’entoure, on découvre aujourd’hui un Guizmo sage qui a décidé de faire un trait sur beaucoup d’aspect négatifs de sa manière de penser. Entouré de son gang et de sa famille, le rappeur nous livre beaucoup de sa vie personnelle et de son quotidien rempli de questionnement dans “GPG2”.
Comment tu vas Guizmo ?
Je vais bien aujourd’hui, comme les jours d’avant. A chaque fois que je me réveille le matin je remercie le bon Dieu d’avoir toujours mes deux bras et mes deux jambes.
Il s’est passé quelques années depuis le GPG 1, ça vient d’où cette série ?
Ouais, ça fait 3 ans, c’est avec mon frère qu’on a eu l’idée de faire ça. “Guizmo protège le Gang”, ou “Guizmo protège Guizmo”, et la plus importante “ God protects the Gang”.
Dans ce deuxième volet, on a surtout retrouvé l’idée de “Guizmo protège Guizmo”
Non, c’est toujours le gang mais je le mets moins en avant.
Mais l’idée de gang s’est élargie ? Ton gang c’est aussi devenu ta famille?
C’est l’inverse, c’est ma famille qui est devenu le gang ! (rires)
Le volume 1 était un projet qui a beaucoup touché et fait peur à ton public avec des morceaux comme “Attendez-moi”. Personnellement j’ai vraiment cru qu’on allait te perdre, qu’est ce qui s’est passé pendant cette période ? Comment ça va aujourd’hui ?
Ça va bien ! J’ai l’air d’aller mal ou quoi ? J’suis flex ! Non sérieusement j’avais trop déconné, je me modérais plus, j’avais plus aucune limite, au bout d’un moment ton corps il t’envoie des signaux et ton cerveau il les reçoit, donc tu t’inquiètes, tu te poses des questions j’étais dans ce délire là. Aujourd’hui c’est plus du tout le cas.
Ça se ressent en tout cas dans ta musique, on a beaucoup moins l’impression que tu ne sais pas où tu vas, que tu es perdu. Y’a une grosse partie de l’album qui parle de rédemption, tu dis “J’ai connu la détention, mais là je suis dans la rédemption”. Y’a vraiment une démarche où on sent que t’essayes de faire le bien autour de toi
Ouais c’est exactement ça ! J’ai été très égoïste, paradoxalement j’ai été très généreux. Dans ce côté égoïste y’a eu l’alcool, les bagarres à outrance, où j’ai cassé tous mes doigts et laissé des balafres… Aujourd’hui j’ai plus envie de cultiver ce truc de “Je suis tout seul, je me prends pour je sais pas qui, je casse tout contre le monde entier” je sais que c’est pas ça la vraie vie.
On sent que tu es dans un état d’esprit où tu voudrais devenir le meilleur humain possible.
Ouais ! Déjà je crie plus chez moi. J’ai peur de crier devant les enfants.
Dans cette rédemption, on sent que le rapport avec ta femme et la fidélité est très important, dans “Mama j’suis égaré”, tu dis “J’aime trop les femmes, ça plait pas à la mienne”, et dans “Ton pied, mon pied” tu places un big up à tous “les mecs qui respectent leur femme”
Il a 2 – 3 ans “Maman je suis égaré”, tu vois ? L’infidélité c’est quelque chose qui m’a collé au train un moment, mais j’ai jamais trompé ma femme. C’est pour ça que j’ai fait “Ton pied, mon pied”, j’ai vu notre parcours, on a été remarquable, même si y’a toujours des hauts et des bas.
C’est une belle déclaration d’amour que tu lui fais dans certains morceaux, on comprend que c’est “ta meilleure des alliées” et que tu la remercies pour beaucoup de choses.
Je te remercie mon reuf.
C’est important, dans le rap c’est facile de parler de rupture ou de sexe mais y’en a très peu qui s’aventurent sur le chemin de l’amour.
J’essaye de pas faire des morceaux poétiques “lover” quand même. Donc je lui dis ce que j’ai à lui dire, mais j’ai pas peur de dire que je l’aime un peu plus chaque jour, demain je l’aimerai plus qu’aujourd’hui inchallah, si j’me réveille demain.
Avant dans ton personnage on sentait vraiment une haine du monde, une incompréhension de ce qui t’entourait
Ouais ! J’avais l’impression que le monde entier me devait quelque chose.
Je t’ai vu cette semaine dire « Vive Nekfeu » sur Skyrock, je trouve que ça résume parfaitement l’état d’esprit dans lequel tu sembles être sur ce projet, avec l’envie de laisser toute la rancœur derrière toi.
Ouais j’ai fini avec tout ça, parce que quand tu cultives ça, tu te fais du mal. Et j’ai pas envie de me faire du mal
Si tu cultives de la haine, ça en fera pousser.
Exactement ! Ma mère m’a toujours dit l’univers se nourrit de ce que tu lui donnes à manger. A méditer. (rires)
Y’a un rapport très mélancolique de certaines époques dans tes textes justement, on a pu voir ton corps se remplir de tatouages ces dernières années, est ce que justement c’est aussi un moyen pour toi de marquer certaines pensées sur ta peau ? Ou alors c’est quelque chose que tu fais sans réfléchir comme t’as pu le dire pour Yard dans le docu sur les Face Tattoos ?
Regarde, les premiers c’est des tatouages pirates. J’me suis tatoué les mains en premier, le tatoueur était super perplexe parce qu’il trouvait ça bizarre de commencer par ça. Les gens ils commencent par des endroits pas visibles. Et justement, je l’ai fait pour le gang, regarde “GPGZ”, Z je l’ai mis parce que j’suis un Gangster, mais quand on est ensemble on est dans gangsterz donc y’a un Z.
C’est un truc que t’as fait pour y être confronté tous les jours ? Tu te lèves le matin et c’est ce que tu vois en premier ?
Ouais, et après les autres c’est parce que dans la frénésie du truc, pendant 3 mois j’me suis tatoué partout. Et c’est beaucoup de références à mon gang. Tu sais le truc de bagnard quand ils comptent les années ? J’en ai mis 28 parce que c’est l’âge auquel j’ai perdu ma sœur, j’ai Rosa Parks, j’ai Malcom X. C’est ma vie et mes inspirations. Je sais que je les oublierai pas si je les tatoue pas, mais ça me fait quelque chose. Là je suis à 21 tatouages. Le « Facetatt » c’était le deuxième, j’ai choqué le tatoueur.
Dans ce projet on comprend que la paternité t’a aidé à te ranger, c’est quelque chose d’important pour toi d’éduquer tes enfants ?
Ouais, tu sais j’men foutais de ce que ma mère pensait quand elle venait me chercher en GAV, je m’en foutais quand elle me croisait sur une moto en bas de la cité en rentrant du travail, limite je m’en foutais que les flics viennent à 6h du mat, alors que c’est ma famille. Mais quand c’est toi qui fonde la famille, tout change. J’pense que j’essaye de les mettre à l’abri autant que ma mère a pu le faire pour moi. Ça réveille un instinct que t’avais pas forcément avant, un instinct protecteur, partageur, d’inquiétude. Moi j’suis pas tranquille quand je suis en déplacement et que j’ai pas vu mon fils courir, sourire 2,3 fois dans la journée, je suis pas bien.
On a beaucoup entendu dans tes textes, un rapport particulier avec tes parents, est ce que maintenant t’arrives à comprendre l’autre côté de ton enfance ?
Ouais, j’arrive à comprendre et j’essaye de pardonner. Ç a c’est mon travail. J’ai mis du temps à comprendre mais je dois pardonner, ça va être aussi dur. Rome ne s’est pas faite en un jour.
Tu as une relation très passionnelle avec tes addictions dans ce projet, et tes textes plus généralement. Beaucoup t’ont connu avec les 5 bouteilles de Ballantines
Depuis ma première rime ! J’ai commencé à boire et fumer avant de faire du rap. J’suis alcoolique depuis que j’ai 14 ans et je rap depuis que j’en ai 15 ou 16.
On comprend que ça te soulage mais que ça te coûte aussi beaucoup, t’en es où aujourd’hui avec tout ça ? J’ai vu que t’avais arrêté l’alcool fort.
Ouais, ça fait 3 ans et demi que j’ai arrêté ! Je bois que de la bière, et j’en bois quand j’ai envie, en vrai. J’pense que pour se gérer, faut se trouver des raisons d’avoir envie, et des raisons de pas avoir envie. Je me vois mal aller au parc avec les enfants et ramener ma bière avec moi. Donc si on reste 3h, c’est 3h sans boire, et c’est chanmé, parce que c’est 3h à profiter des gamins, à rigoler, manger … Ce qui est très important, t’as vu j’ai du perdre du poids pour un film, donc faut que j’en reprenne.
Tu peux en parler de ce court métrage ou pas encore ?
C’était pour “Youssouf”, un court métrage produit par la boite de prod de Salif, c’est disponible sur YouTube depuis 1 mois ! Mais ouais, ça me soulage de savoir pourquoi je bois, et de choisir les moments.
Ça fait partie de ton “combat contre toi-même”, que tu décris dans l’album ?
C’est plus facile de vivre en pensant que l’enfer c’est les autres, mais tu détruis plus vite si tu penses comme ça. Alors que si tu rends compte que c’est toi le problème, là tu peux te reprendre en main.
Tu reviens avec un album composé de 30 titres, ce qui est beaucoup quand on regarde l’industrie actuelle, tu t’es souvent affranchi des “codes” du rap, avec des morceaux de 8 minutes sans refrain comme « André »…
Et là, y’en a pas c’est ça ? (Rires)
Non pas du tout, mais c’est important pour toi de pas suivre ces codes musicaux ?
Je fais ce que j’aime faire, y’a personne au-dessus de moi. J’ai que des associés j’ai pas de patron, on me dit “Guizmo qu’est ce qu’on met comme morceaux dans le projet, qu’est ce que t’aimes bien ?”. Parce qu’on me fait confiance, quand on me consulte sur la tracklist je mets ce que je veux dedans.
J’ai vu que tu n’étais pas du genre à passer tes soirées en studio, que tu ne produisais pas beaucoup de morceaux par jour, comment ca se passe la création d’un album de Guizmo ?
Ça a assez duré ! J’ai fait ça tous les jours, et quand je te dis tous les jours c’est y vivre pendant plus de deux dans en studio, c’est bon j’ai assez donné. Celui-là je l’ai commencé un mois après la sortie de renard, morceau par morceau en allant au studio quand j’avais besoin.
Y’a un gros travail sur les mélodies et les refrains, on remarque que t’aimes bien reprendre des airs connus, comme Amy Winehouse sur « la Pillave » dans GPG, ou encore Indochine dans “La Pluie”, c’est un truc que t’aimes bien de prendre une mélodie que tout le monde connait et …
Et je les viole ? Ouais ! (Rires) Parce que c’est le patrimoine français, je l’ai toujours dit que j’aimais la variet’ moi, dans toutes mes interviews. Détourner un petit truc comme ça, qui a marqué tout le monde, ça me fait kiffer, c’est comme quand j’ai détourné “dans 10 ans”, “Redemption”, j’aime beaucoup ça
Y’a un morceau qui m’a marqué c’est “Le Bruit et l’Odeur”, avec une animation Youtube comme on aime de toi, j’avais jamais vu cet extrait hyper diabolisant et faux de Jacques Chirac qui résume bien la vision de la misère des politiques. On a toujours retrouvé des pensées politiques dans tes textes, c’est un truc qui te parle vraiment ?
Je suis pas discret, mais je suis plus révolté qu’engagé. C’est pour ça que personne ne ressent mon discours comme un truc de politicard, parce que quand j’en parle c’est sous forme de révolte. Mais quand tu passes dans l’engagement, il faut t’y connaitre.
Et moi en terme de politique je suis pas le plus calé. Mais à partir du moment, où la politique c’est ce qui dirige nos vies, et que dans nos vies, ça se passe pas bien, pas comme on veut à cause de la politique, je suis apolitique.
Tu votes pas ?
J’ai jamais voté de ma vie, j’ai pas de carte d’électeur
Justement, dans ce morceau tu dis “Ce que vous appelez racaille, c’est 20% de vos électeurs”
Et bah oui ! 20% des gens qui votent viennent des quartiers et sont des prolétaires, et c’est nous et nos parents. On leurs donne 20% et nous pendant ce temps là on est à -500 sur le compte en banque.
C’est le problème de cette forme de rupture, si les gens se sentent plus concernés, même ces 20% ils sont amenés à disparaître sans représentation
Tu serais surpris de voir le nombre de jeunes de cité qui sont concernés par la politique, qui se sentaient concernés par les gilets jaunes, les 20% on les trouve normal ! C’est pas nous, j’vais pas te dire que le mec qui est posé dans son hall à dealer toute la journée pour remplir sa sacoche, il va aller se pointer à la Mairie pour voter, je serais un menteur. Mais dans une tour y’a je sais pas 1200 habitants, si tu me dis que y’en a même pas 150 qui vont voter je te dirais que c’est une hérésie !
Je voulais finir avec cette phrase “Oubliez Guizmo, écoutez Lamine Diakité” parce que je trouve qu’elle résume parfaitement ce projet. On sent que t’es en train de casser toutes les barrières de l’artiste pour te livrer, c’est très personnel peut être impudique pour certains, mais on sent qu’on est avec toi dans ta vie et tes combats quand on écoute ces morceaux.
C’est bordeline ! Si tu mets l’impudeur là, je suis à quelques pas. Mais c’est important pour moi parce que c’est la vérité. C’est primordial. Les morceaux introspectifs c’est où je ressens le plus le confort. C’est souvent des réflexions qui viennent de discussions que j’ai avec mes proches, mais pendant des heures. Je comprends qu’un supporter qui se prend ça en condensé dans un morceau de 3 minutes il puisse ne pas comprendre.
Entretien et photos: Le Triplesept