Lyna va vous faire aimer 2020
9 janvier 2020
Vincent Schmitz
Moins d’un an après la sortie de “Gemini”, Lyna est de retour avec “Lemon Haze”. Un deuxième EP, déjà, pour cette jeune chanteuse belge pressée de 21 ans, qui s’est retrouvée sur Youtube à 8 ans et dans “The Voice ” (Flandre) à 17. Au programme cette fois, six chansons courtes et parfois téméraires : de “High” à “Bad Girl” en passant par “Booty” et “Daddy”, c’est avec un cran certain et une détermination visible qu’une facette moins doucereuse s’impose.
Originaire de Louvain, Lyna enregistre à Anderlecht (au sud-ouest de Bruxelles) et ne se voit pas ailleurs que sur scène et en studio. Une résolution à l’image de sa maîtrise du français en à peine un an – ce qui reste assez impressionnant vu d’ici. Pas encore de chanson en français par contre, mais toujours en anglais, et un ton plus provocateur, sur une musique moins planante et plus vrombissante. Un quart d’heure “légèrement déchiqueté et duveteux”, si l’on en croit la description de la Lemon Haze par les connaisseurs de chanvre, ce qui pourrait aussi s’appliquer à cet EP.
Check: D’après le très sérieux site “cannabis.info”, la consommation de la Lemon Haze procure un regain d’énergie physique et mentale. C’est une variété idéale, avec un arôme plaisant et rafraîchissant. Elle est aussi agréable quand on la partage lors d’une rencontre avec des amis que quand on la savoure seul. Ca te convient comme définition?
Lyna: Ha ha ha! Ouais, c’est vrai! En fait, j’ai appelé cet EP “Lemon Haze” parce que quand tu prends du cannabis, tu pars dans un trip. Si tu écoutes ma première chanson jusqu’à la fin de l’EP, tu suis vraiment mon trip aussi, la manière dont je me sens pour l’instant… Quand tu prends du cannabis, tu peux être créatif, te sentir bien… beaucoup de choses… Donc je me suis dit que “Lemon Haze” était un titre parfait.
C’est déjà ton deuxième EP en moins d’en un an, après “Gemini”. Et on sent du changement : il est moins “sage”
Oui, vraiment moins. Je raconte des choses de ma vie, quoi. Pour “Gemini”, j’avais choisi mes titres préférés dans ce que j’avais écrit. “Lemon Haze” est plus tourné vers un côté de moi que beaucoup de gens ne connaissent pas encore. Si tu écoutes les paroles, tu comprends que ah ok, elle a aussi ce côté là. J’ai l’impression que les gens me voient souvent comme, je sais pas, une petite fille, gentille, qui sourit tout le temps… Mais là c’est plus dark, ce sont mes vraies émotions qui ressortent. Je crois que cet EP, c’est vraiment une facette de moi plus…honnête. Et c’est pas juste être honnête avec les gens, mais avec moi aussi. J’écris mes chansons depuis un peu plus d’un an seulement et ça prend du temps pour vraiment être honnête. Au début, tu te dis est-ce que je suis prête à dire ça? Pas que j’aie un message à délivrer mais voilà, c’est comme ça que je me sens maintenant.
Qu’est ce que tu veux dire par “être honnête”?
Dans ma vie privée, je ne suis pas toujours honnête par rapport à moi-même. J’ai souvent l’air heureuse et tout ça, je ne parle pas beaucoup de la façon dont je me sens, de comment j’ai réagi par rapport à certaines choses qui me sont arrivées… je garde beaucoup pour moi. Ecrire, c’est ma manière d’en parler, c’est ce qui m’a donné la force de dire.
D’un point de vue musical, il est moins aérien, moins planant
Disons que c’est moins R&B. “Booty” et “Daddy” c’est plus rappé mais il y a quand même trois chansons qui sont vraiment chantées. En fait, je ne sais pas vraiment expliquer le style musical de cet EP parce que j’ai mixé tout ce que j’aime. Je ne veux pas me coincer dans une direction, dans un genre.
C’est aussi une manière de vivre différemment la scène?
C’est clair qu’en faisant mes premiers shows cette année, j’ai vu que si tu fais des bangers, ça chauffe les gens. Si t’es plus dans l’émotion, c’est moins le cas évidemment. Mais je ne veux pas faire des tracks “ambiance” juste parce que c’est mieux sur scène. Je veux ne pas être une artiste uniquement pour les boîtes ou le monde de la nuit; je veux faire des concerts partout, au Sportpaleis! Où les gens viennent écouter de la musique.
Tu as un modèle en tête quand tu parles de ces envies?
Ma préférée depuis que je suis petite, c’est Brandy. Elle sait tout faire, c’est une grande inspiration pour moi.
Tu parles de LA Brandy, des années 90?
Oui oui!
Mais d’où tu la connais, à 21 ans?
Ha ha! En fait, quand j’avais huit ans, j’ai vu un film qui m’a beaucoup marqué avec ma maman, “Double Platinum”. C’était avec Diana Ross et Brandy. Dès que j’ai vu ce film, j’ai été obsédée. J’ai vu une fille comme moi, qui veut chanter. Ce jour-là, j’ai dit à ma mère: je veux être comme elle. Puis j’ai cherché sur Youtube tout ce qu’elle avait fait et j’ai tout écouté… “The Boy Is Mine”, “Afrodisiac”… tous les classiques quoi. Je crois que je peux dire que c’est grâce à Brandy et à ce film que j’ai commencé à chanter. C’était la seule chose que je voulais faire. Et la première chanson que j’ai chantée quand j’avais 4 ans, c’est un truc de fou mais c’est “Moulin Rouge”. Ha ha! J’avais 4 ans et je ne voulais chanter que ça.
Tes parents écoutaient du R&B?
Ce sont surtout mon frère et ma soeur plus âgés qui écoutaient beaucoup de R&B de ces années-là, les 90/2000. C’est vraiment devenu “mes années”…. dommage que je ne sois pas née plus tôt. Tout me plaît en fait : le style, la musique, la mode… j’aime trop cette période donc j’essaie d’insuffler ça tout en restant moderne quand même. Mais je me suis toujours dit que je pourrais faire tout un album de R&B 90/2000. Destiny’s Child, Monica, Toni Braxton, TLC…
Il faut que tu fouilles dans les mixtapes de la légende HMD alors… D’ailleurs même ta pochette a cette imagerie un peu nineties avec cette visière jaune et cette typo…
La photo est de Raia Maria-Laura et l’artwork de Romain Garcin. Il est trop fort, je veux travailler avec lui pour toutes les autres! Je participe à tout. Je crois que c’est même énervant pour mes managers parce que je suis très têtue. C’est important pour l’artiste de retrouver ce qu’il veut dans l’ensemble du projet. Si tu écoutes tous ceux qui te disent tu dois mettre ça, ça, ça… tu deviens un produit, pas un artiste.
L’image aussi, c’est important? Tu portes du Daily Paper aujourd’hui, on voit aussi passer des collaborations “styling” avec le magasin bruxellois Knits & Treats
J’adore Daily Paper! J’ai deux opinions, en fait. Ma maman m’a toujours dit qu’il fallait être présentable, propre, classe, abordable pour les gens. Et je trouve que comme artiste, c’est aussi important d’être bien habillé. Mais tu ne dois pas non plus trop penser à ça. Tu dois montrer aux gens que ce n’est pas que ça, que tu es aussi une artiste et que tu veux que les gens écoutent ta musique.
Alors du coup… “Booty”…
Oui… ha ha!
Pourquoi?
Ha ha ha, pourquoi ce morceau? En fait, “Booty” c’est marrant parce qu’on était avec plein de gens, en studio, et j’étais en train d’enregistrer une chanson vraiment émotionnelle. On était en train de pleurer! Je sors pour prendre des mouchoirs et j’entends la prod’ de malade de Junior. Je me dis mais c’est quoi ça! J’avais jamais entendu ça parce que souvent les beatmakers ne pensent pas à moi pour autre chose que “des beats pour chanteuse”. Direct moi je me suis dit non, on va faire quelque chose là-dessus. J’ai fait une petite topline et j’ai dit tu sais quoi, enregistre-moi on va faire un petit freestyle. Et la première chose qui est sortie… c’est booty. Donc, je me suis dit pourquoi pas, ha ha! Le lendemain, on a fait les couplets et c’était fini.
Tu y parles donc de booty mais tu dis aussi “no matter what, i’m still a feminist”
Oui je me pose comme féministe. Tout simplement parce que je peux faire ce que je veux, et personne ne pourra me dire non. C’est un peu personnel aussi parce qu’il y a parfois des filles qui viennent mal me parler. Je suis née et j’ai grandi à Louvain mais on sait que je suis “Marocaine”. Je trouve ça triste mais il y a des filles qui ne sont pas vraiment d’accord avec le fait que je chante et que je dise des choses parfois un peu vulgaires. Avec cette chanson, je veux dire OK je chante comme ça et je suis un peu folle de mon côté mais je suis une féministe et je suis avec vous, pas contre vous. Je trouve ça dommage parce que je suis là pour tout le monde en fait, je suis Européenne parce que je suis née ici mais j’ai mes racines marocaines que je n’oublie pas. C’est aussi provocateur parce que la chanson est plus vulgaire que la normale. J’ai fait ça exprès, je me suis dit pourquoi je pourrais dire des choses comme ça dans ma vie privée mais pas dans mes chansons, juste parce qu’il y a des gens qui ne sont pas d’accord. Non. Si je veux écrire et chanter un peu vulgaire, je peux.
Une question qu’on ne se pose plus vraiment aux Etats-Unis par exemple
Je crois qu’ici en Belgique, c’est plus difficile. On n’en est pas encore là. Aux Etats-Unis, ils sont déjà loin, ils ont accepté plein de choses. Mais en Europe, c’est encore traditionnel, old school. Donc une fille qui fait ça, d’origine marocaine en plus, c’est pour choquer des gens, quoi. Mais même quand j’ai fait The Voice Vlaanderen à 17 ans, des filles m’ont accosté dans la rue pour me dire tu es une honte pour notre communauté. J’ai été choquée et ça m’est resté en tête. Moi je chante parce que je le veux. Mon père aussi, qui est Marocain, chante. Et il est heureux que sa fille chante.
C’est le chant et rien d’autre en ce qui te concerne…
J’ai quitté l’école quand j’avais 17 ans, après The Voice. Je n’ai pas de plan B parce que j’ai confiance en moi et je dois “péter”. J’ai choisi de ne pas avoir de plan B parce que si je réfléchis déjà à ça, je vais jamais réussir le plan A. Je vais travailler et travailler jusqu’à ce que ça marche. Il n’y a pas d’autre possibilité. Je n’ai pas réussi à l’école et la musique c’est aussi pour me prouver à moi-même que j’ai des talents, que je peux faire quelque chose dans ma vie. Et puis, c’est la seule chose qui me rend heureuse tout le temps.
Tu écris seule tes textes, et en anglais
Oui, j’ai commencé il y a un peu plus d’un an à écrire. Le néerlandais, j’ai essayé mais c’est pas mon truc, ça ne coule pas naturellement, je ne peux pas être vraiment moi. J’ai toujours chanté en anglais, c’est plus facile pour moi,. Je viens de réussir à écrire quelques petits mots en français, j’apprends depuis un an. C’est chouette de jouer avec des langues. Si tu parles quatre langues, tu peux tout faire quoi.
Tu mélanges aussi, tu avais fait un featuring avec Eddy Ape en français. Et de manière générale, on sent une grosse ébullition en Belgique au-delà même du rap, où toute une jeunesse se croise
J’ai l’impression que ça y est, on a fini de dormir. Tout le monde est là, et on vient avec des épées, des trucs de fou… et j’adore voir ça parce que… ENFIN, quoi. Il y a beaucoup de talent ici et je veux que tout le monde sache qu’en Belgique, c’est pas juste une chanteuse connue ou un rappeur qui fait quelques hits. Il y a du talent en continu, comme en France et ailleurs. Je suis vraiment fier de la Belgique, de ce qui se passe ici.