Fresh prince of Liège
18 décembre 2019
Martin Vachiery
Il a 22 ans et déborde d’ambition. Bien installé à Liège, bousillé par les projets de 50 Cent et les films de gangsters, en pleine construction musicale et prêt à casser les codes du jeu, Fresh va vous faire aimer la Cité Ardente avant de conquérir la France.
Après 1h de train, on débarque sous la pluie à Liège avec Adèle, jeune photographe de talent. Les deux frères de Fresh, dont Quincy son manager, viennent nous récupérer à la gare dans une superbe merco rouge, ce n’est pas une légende, on est toujours bien accueillis là-bas.
Direction l’appartement de Fresh, le QG, à Ans, une commune sur les hauteurs de Liège. Première rencontre avec artiste dont beaucoup d’internautes nous parlent depuis plusieurs mois.
Fresh c’est un artiste à part, qui se distingue dans une facette du Rap belge encore trop peu exposée : celle qui vient de la rue, la vraie. A l’exception (notable) de quelques noms (DAV, Sky, Jones Cruipy…) peu de talents belges au style « street » sont parvenus à se faire connaître du grand public jusqu’à présent. Alors Fresh, qui débarque avec un Rap brut, après s’être essayé ) l’afro, a clairement sans doute une place à prendre. Celle d’un ambassadeur des quartiers de Liège déjà, et peut-être même plus encore.
Et attention, avec sa plume particulière et son goût pour les refrains chantés, Fresh n’est pas non plus un artiste street basique. A l’image de ce qui se fait de mieux en Belgique, sa proposition est originale, mélodieuse et respire l’authenticité. Rencontre.
Martin Vachiery: On va commencer par une question inévitable, tu peux te présenter ?
Fresh, 22 ans, artiste belge, j’habite à Ans, dans la province de Liège, bienvenue chez moi déjà, content que vous soyez là ! (canettes de Fanta, canapé confortable, c’est vrai qu’on est bien reçu chez Fresh)
J’ai commencé la musique très tôt, j’allais déjà en studio dès l’âge de 13-14 ans. Au début c’était pour rigoler, pour découvrir le truc, par curiosité. Je baigne dedans depuis que je suis tout petit. Mon premier morceau s’appelait « LG c’est Dallas » (LG = Liège). A l’époque on voulait se mettre dans un délire cainri, tout le monde parlait de Chicago, nous on a voulu faire un truc différent, sortir du lot ! Alors on a revendiqué le Texas.
Et donc en partant de ce son, qui était juste un délire de pote, tu t’es dit « je vais faire de la musique ? »
J’avais déjà un petit peu de buzz avec ce son, donc j’ai commencé à me prendre la tête dans l’écriture, dans le travail de mes sons. Puis 2 ans plus tard, j’ai sorti mon premier son qui a vraiment marché : « La Cuenta ».
Est-ce qu’on peut dire que c’est.. « une douille » ?
*Rires* C’est vrai que c’est facile pour moi de faire ce genre de son. Je suis congolais, donc je maitrise les sons afros. Avec une bonne topline et hop, c’est fait. Mais j’en suis fier de ce morceau ! J’ai gagné un concours NRJ Talents en 2018 avec « La Cuenta », ça m’a permis de faire plein de scènes, d’être joué en radio, donc je renie rien de tout ça. Au contraire.
C’est un son qui t’a permis d’avoir une vraie notoriété à Liège ?
Ah j’ai commencé à vivre la vie d’artiste. J’étais booké en télé, en radio, j’ai fait toutes les grosses boîtes de la région, quelques dates à Bruxelles aussi ; donc quand j’ai goûté à ça, j’ai plus jamais voulu m’arrêter. Et là j’ai voulu envoyer un 2e morceau dans le même style… sauf que je ne me suis jamais considéré comme un artiste afro, je préfère le Rap brut et les mélodies. Donc le morceau qui a suivi « Mauvais jeu », a bien tourné aussi, mais ça ne prenait pas vraiment la direction que je voulais. J’avais l’impression de me bloquer moi-même dans un univers qui me correspondait pas.
Pour être honnête, quand je t’ai découvert, j’ai pas été retourné par ta musique. Je me suis dit « ok c’est bien fait », mais sans plus. Jusqu’à ce que tu reviennes avec une proposition plus rap, plus originale aussi !
En fait, après « Mauvais jeu », je suis reparti en studio pour me remettre dans un travail de développement artistique. Je voulais me recentrer sur ce que j’aimais faire, on a enregistré énormément de sons. Puis on a commencé à sortir les sons, pour les tester. D’abord avec « En bas » à la rentrée 2019.
Je voulais raconter la vie qu’on mène et je ne voulais pas attendre avant de le sortir. C’était important pour moi. Et là j’ai vraiment été content de voir que le public a réussi à suivre ça et à écouter autre chose que de l’afro. Je m’étais mis des barrières tout seul en fait !
La première claque que je me suis pris, c’est sur « Bon jeu ». C’est d’ailleurs marrant d’appeler ce track (très Rap) qui colle à ce que tu aimes « Bon jeu », après avoir sorti… « Mauvais jeu », qui te correspondait moins…
Après m’être remis dans le Rap, je me suis dit que je voulais terminer l’année 2019 en montrant ce que je savais faire. C’était important pour moi. C’est aussi une façon de dire « voilà ce qui vous attend pour 2020 » ! Donc ça me fait plaisir ce que tu me dis, parce que c’était vraiment ça le but. Et même si il vient de sortir, c’est le morceau pour lequel j’ai eu le plus de retours positifs.
T’as bien fait, les sons un peu dansant c’est cool l’été, mais là on est en décembre, faut que ça cogne un peu !
*Rires* T’as tout compris ! Regarde même le nom de mon label c’est « Iceberg Click » donc c’est logique.
Pour être sérieux, je trouve ça très intelligent de ta part d’avoir aussi réussi à saisir les limites d’une tendance (l’afro) et d’avoir su te réinventer un peu.
Moi je baigne dans cette musique, donc forcément je suis heureux de voir mes petites sœurs ou mes cousines danser sur mes sons ; mais j’avais envie de prouver que je pouvais faire plus que ça.
C’est ça que j’aime dans le Rap, c’est une discipline où tu dois prouver ce que tu vaux en permanence, tu peux pas tricher dans le Rap. C’est un peu moins le cas dans l’afro, où c’est plus « facile » de faire un tube.
L’étape d’après c’est d’aller chercher les auditeurs français ?
Bien sûr ! Là j’ai encore des choses à faire en Belgique, comme le Festival les Ardentes, c’est un vrai objectif en tant qu’artiste, c’est la plus grosse scène Rap francophone, et c’est chez moi en plus. J’ai eu besoin de m’affirmer ici, montrer d’où je viens, j’ai besoin de garder mon nid à Liège avant d’attaquer la France. Je serai toujours à la maison ici, je veux continuer à marcher où je veux à Liège. Mais maintenant j’ai envie de faire découvrir mon style aux Français, parce que c’est comme ça que ça marche.
La génération précédente des rappeurs belges de régions (Namur, Charleroi, Liège etc.) se plaignait beaucoup du fait qu’on ne parlait que des rappeurs de Bruxelles. J’ai l’impression que c’est plus le cas avec vous ?
Bien sûr y a toujours eu plus d’exposition pour Bruxelles, mais je n’ai jamais utilisé ça comme une excuse. S’il y a plus de lumière à Bruxelles, il faut se poser la question « pourquoi ? ». Parce que les mecs travaillent dur ! Nous on va faire pareil. Je viens d’une ville que les Français ne connaissent pas, à nous de montrer qu’il n’y a pas que Bruxelles sur la carte du Rap en Belgique. Il faut arrêter de se mettre des frontières.
Une dernière question : qui t’a transmis cette passion de la musique ?
En fait c’est pas vraiment une personne, c’est arrivé avec mes frères à une époque de notre vie où on regardait énormément de films de gangsters. On a toujours adoré ça. Et quand « Get Rich or Die Tryin’ » de 50 Cent est sorti, ça a changé nos vies. Ça m’a donné envie de faire de la musique, de monter sur scène, de mener cette vie là. La culture américaine m’a donné envie de m’organiser et de travailler dans cette idéologie là de la réussite. On s’est dit « viens on monte une équipe, on investit dans la musique et on se met à fond dedans ». C’est un mode de travail et une passion.
Soyez curieux, continuez à digger dans ce Rap jeu, écoutez Fresh.
Crédits photos : Adèle Boterf