Hatik: déjà validé ?
4 octobre 2019
Triple Sept
Avec sa chaise pliante, Hatik est venu s’installer en quelques mois là on ne l’attendait pas. Du milieu du périphérique au studio de Canal + comme acteur principal de la série “Validé”, annoncée pour 2020, le jeune originaire de Guyancourt dans les Yvelines (78) s’est positionné à force de freestyle comme l’une des figures du rap dont tout le monde parle en 2019. La sortie de sa mixtape “Chaise Pliante”, vient confirmer son assise sur une place qu’il n’a jamais quitté, qu’importe l’environnement dans lequel elle se trouvait.
La chaise pliante c’est un objet du quotidien, dans la vie de quartier. C’est un objet qui est emblématique de l’état d’esprit de s’approprier n’importe quel endroit. Venir dans un endroit pour y poser sa chaise pliante, je trouvais le concept à la hauteur, donc avec mon équipe on a décidé de poser cette chaise dans plein d’endroit différents.
Check: C’est quoi cette chaise, Hatik ?
Hatik: J’avais déjà sorti énormément de morceaux, c’est juste qu’aujourd’hui tu peux plus les trouver. C’était à une échelle locale et amateur, ça prenait pas, ça a jamais dépassé ma ville et encore. On voulait qu’il y ait une cohérence, mais on voulait que la cohérence soit justement l’impact. Aucun des sons se ressemblent, ce qui les rassemble c’est qu’ils sont impactants. Le but c’était d’accrocher les gens avec le plus de couleurs différentes. Maintenant quand les gens m’appellent dans la rue, ils me disent “Oh Hatik, chaise pliante !”, c’est devenu mon deuxième nom.
T’as pas peur de t’enfermer dans cette identité justement ?
Non, parce qu’on a fait 8 clips “chaise pliante” et en 8 clips on a montré que la marge de progression et d’évolution était infinie. Si demain j’ai les moyens, j’peux aller poser ma chaise pliante sur la lune, et personne viendra me dire “hey ton clip il est nul”.
C’est devenu une des clés de la réussite: être régulier et offrir à son public de quoi le satisfaire, ça a été dur à mettre en place pour toi ?
On avait fixé le rythme à la base, c’était pas trop dur de le suivre parce que j’avais énormément de sons en stock. Je fais de la musique très rapidement. J’avais pas de mal à suivre la cadence, on a sorti un freestyle toutes les 3 semaines à peu près.
D’ailleurs dans un des freestyles, vous avez posé ta chaise pliante sur le périph, comment vous avez fait ça ?
En fait, je tournais la série “Validé”, et on avait le périph pour nous le temps du tournage, on en a donc profité pour tourner un freestyle.
Y’a une thématique super présente dans ton projet, c’est la vie de quartier qui est annoncé avec justement ce titre “Chaise Pliante”, on ressent les paradoxes dans lesquels t’as grandi, entre l’argent facile et la valeur du travail. Tout au long du projet, on t’entend parler de ton “Quartier de merde” mais on ressent aussi un profond amour de cette vie là dans tes textes
C’est un peu comme une drogue hein, quand t’es alcoolique, tu sais que l’alcool c’est de la merde mais tu bois tous les soirs. Mais au moins t’es conscient. Moi j’ai déménagé mais là où j’habite maintenant c’est vraiment juste à côté de là où j’ai grandis. C’est sur ma route quand je rentre chez moi, alors souvent je m’arrête.
“J’suis entouré de cancre, j’suis le meilleur élève”
À l’école j’étais pas forcément le meilleur élève, sauf en anglais, mais dans un quartier y’a des phénomènes. À chaque fois que j’y mets les pieds, j’entends des tournures de phrases, des mots, des conjugaisons qui sont incroyablement fausses. Moi ça me fait rire, mais je me positionne pas au dessus de ces gens là, parce que le mec de quartier qui va arrêter l’école, il peut ouvrir un commerce et le tenir bien mieux que toi, même si t’as fait des études. C’est une autre science que tu développes dans la rue. Moi j’suis entre les deux, je suis un mec de quartier mais en même temps je suis aussi profondément attaché à la culture et à l’école. C’est deux choses qui sont souvent mises en opposition mais je connais des mecs de quartiers qui trainent tous les jours et qui lisent plus de bouquins que moi.
Y’a justement cette mentalité de la rue qu’on retrouve beaucoup dans le rap, le besoin de faire de l’argent et de s’en sortir
Ouais, mais moi j’ai jamais vu la musique comme un moyen de gagner de l’argent, ça commence à mûrir dans ma tête, à peine. J’ai même pas besoin de faire de la musique pour quitter le quartier en vrai. Quand je fais quelque chose je comprends que je dois plus traîner dehors, je suis focus. C’est ni une fuite ni un but économique, je fais de la musique parce que j’aime ça profondément. J’en ai fait pendant 10 ans sans gagner 1 euro, si je faisais ça pour l’argent ça ferait très longtemps que j’aurai arrêté.
Le deuxième thème abordé dans ce projet, c’est l’amour et ton rapport au relationnel. Est ce que c’était volontaire de venir contrebalancer cette vie de quartier par quelque chose de plus doux ?
Non, non c’est vraiment pas pour trouver un équilibre. Parce que ce projet, c’est chaise pliante de Hatik, c’est moi j’assume l’intégralité des titres qui sont dedans, toutes les paroles. Y’a pas de calcul pour contrebalancer le fait que j’ai été trop caillera sur le début, donc à la fin je vais être plus dans le love. En vrai si je devais contrebalancer quelque chose je rajouterais, du rap, de l’égotrip et de la rue et j’enlèverais des morceaux mélancoliques. On s’est vraiment pris la tête, y’a des morceaux dont ça été un crève coeur de les enlever mais qui justement faisait pencher la balance d’un côté ou de l’autre, et on voulait vraiment éviter ça.
Ça fait plus de 10ans, que tu fais de la musique, à quel moment tu t’es dit “là j’ai une opportunité sérieuse” ? Et comment tu fais pour avoir encore la rage après tout ce temps ?
C’est simple, tant que j’ai pas réussi je vais forcer, je vais continuer. Ce qu’il s’est passé c’est qu’à la sortie des premiers freestyles chaise pliante, j’ai vu que ça commençait enfin à prendre. Moi ça fait 10 ans que je fais de la musique, j’ai toujours travaillé dans mes études, enchaîner deux taffs, faire des semaines de 80h, j’ai jamais hésité. Mais à un moment je mettais tellement d’énergie en studio et j’en gaspillais tellement dans un travail alimentaire que ça marchait plus. Alors en décembre 2018 j’ai posé ma lettre de démission, je bossais dans un hôtel à Pantin, en gros fin janvier j’ai arrêté le travail. Le 25 janvier 2019, exactement.
Donc ça fait 7 / 8 mois que t’as commencé sérieusement ta carrière, comment tu le vis tout ça ? Est-ce que tu vois que ça bouge autour de toi, de ton art, ton nom ? Ou t’es dans une bulle et tu réalises pas vraiment ?
Je le vois, bien sur. J’ai pas pour habitude de sortir, mais quand je sors plus ça va plus on me reconnaît dans la rue. Y’a pas plus fort que l’indicateur du public, tu marches dans la rue, est ce que les gens te regardent ? Est ce qu’ils te reconnaissent ? Et ça m’arrive de plus en plus souvent. Oui je vois qu’il y a une évolution, même sur les réseaux, dans le nombre de message que je reçois, ou dans l’amour que les rappeurs peuvent m’envoyer.
Les réseaux sociaux maintenant t’aident beaucoup à avoir un retour direct sur ton travail
Ouais, tu peux voir justement cet indicateur, sans sortir de chez toi. Depuis le premier clip je reçois de la force.
T’arrives à avoir cette part d’investissement dans le virtuel ou c’est un truc qui te dépasse un peu ?
Nan, je suis trop investis. Tellement que j’ai l’impression de plus avoir de vie, j’ai l’impression d’avoir tout le temps la tête dans mon téléphone, j’ai mis du temps à comprendre qu’être sur mon téléphone c’est du travail. En dehors du travail, j’ai plus à avoir mes outils de travail donc maintenant je débranche mon téléphone. Chose que j’aurai jamais faite avant. Mais aujourd’hui je prends du plaisir à plus avoir mon téléphone, parce qu’avec les réseaux y’a pas d’horaires je peux te répondre jusqu’à 5h du matin si je suis encore réveillé. Par contre si j’ai envie de regarder un film, je vais éteindre mon téléphone, parce que j’aime trop parler avec les gens, donc je vais me forcer à ne plus répondre pour réussir à vivre des choses du quotidien.
Enfant, tu as commencé l’écriture par le poème, ils parlaient de quoi ces poèmes ?
Ils parlaient de la vie, de l’amour, beaucoup d’amour.
L’amour que tu vivais au collège ou que tu t’imaginais ?
Ah c’était imaginaire hein ! Moi au collège j’avais pas de meuf ! J’ai commencé tard.
Est ce que tu retrouves cette poésie dans tes textes aujourd’hui ?
Ça reste de la poésie dans le sens où les mots que je vais employer, je les trouve beaux. Mais après y’a des phrases très brutes, avec des images chocs là où la poésie c’est plus souvent des images douces. Je peux être poétique, mais je vais pas te parler du coucher de soleil, de la lune ou de la brise sur les fleurs. Je vais te parler d’un couteau dans le coeur, de l’amour qui s’envole et de ta mère la pute, les 3 en même temps. C’est ça que je trouve poétique, de mélanger des trucs super violents.
Après y’a des formes de poésie très sombres, c’est que celle qu’on apprend à l’école qui est très douce, forcément elle est faite pour être entendu par des enfants
La poésie qu’on apprend à l’école elle est très classique ouais
T’as des références de poètes qui t’ont marqué ?
J’en ai quasiment pas lu non, mais par exemple dans le livre de Mohamed Ali, y’a sa petite fille qui écrit des poèmes et certains m’ont beaucoup marqué, et lui aussi il me semble qu’il en écrit et c’est magnifique. Tu sens la philosophie du mec derrière.
Tes parents ont grandement participé au développement de ta culture hip hop, est ce que maintenant ils ont un suivis, avis sur ce que tu fais ? Tu leurs fait écouter tes projets ?
C’est simple, si je regarde le dernier message Whatapps que j’ai reçu, c’est mon père qui envoie un article qui parle de moi en disait “hey c’est super !”. Ouais, mes darons ils suivent de ouf, c’est des acharnés !
Et ils écoutent le produit fini, ou justement ils ont un rôle dans la conception du projet et des maquettes ?
Nan, parce que je vis plus avec eux. Si c’était le cas ils auraient entendu les maquettes, là ils ont écouté quelques sons avant qu’ils sortent mais c’était déjà des produits presques finis
C’est pas dur de partager la vie de la rue et les histoires de meufs avec ses parents ?
Nan, moi mes parents ils sont jeunes, et j’ai toujours eu la relation avec eux de dire les choses, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Et ils sont loin d’être teubés, ils savent ce que leur fils fait, ce qu’il vit. Moi la première fois où j’ai teasé, je me suis retrouvé dans la voiture de ma mère après la soirée, ma mère elle m’a dit “t’as bu ?”, j’ai dit “non”, et là elle m’a dit “arrête de me prendre pour une conne”, frère j’avais pris deux chewings gum j’ai cru que ça allait faire partir l’odeur.
Tu dis dans le projet que ta maman est fière, parce que t’as connu la fac et pas la prison de Nanterre, t’en es où dans les études ?
J’ai arrêté en Master 1, j’ai fait une licence de sociologie. J’adorais ça, c’est vraiment un truc que j’ai kiffé de fou, je me suis beaucoup épanoui à faire des études sociologique sur les religions. La fac de Nanterre c’est pour moi la meilleur de france en sociologie avec Aix, au niveau de l’enseignement. Mais sauf qu’à un moment donné, t’arrives en M1, t’as 24/ 25 ans et tu te demandes ce que tu vas faire de ta vie. Parce que là, on me parle de faire des études jusqu’à bac + 7/9, pour être doctorant ou prof en fac. Mais c’est une place pour 100 candidats, je me casse pas la tête à faire 9 ans d’études pour tout remettre à un pourcentage de réussite aussi faible.
Pour moi, si tu fais des études faut que ça soit la sécurité, donc si je fais des études aussi longues et que ça m’amène aucune chance de réussir dans le domaine que je veux, bah nique ta mère, je vais travailler dans un autre domaine. Sinon j’ai autant de chance de faire du rap que d’être prof à la fac de Nanterre. C’est hyper enrichissant intellectuellement, mais y’en a plein qui arrêtent pour faire de l’oseille.
T’arrives avec une mixtape de 17 titres pour te présenter, comment ça s’est passé au niveau de l’organisation, est ce que ce projet tu l’avais dans le four et les freestyles étaient là pour l’annoncer ou alors est-ce que c’est les freestyles qui t’ont fait faire ce projet ?
Les deux, on a fait la série de freestyle en sachant qu’on sortira un projet derrière, mais en même temps on sait pas quand ça sortira parce que ça dépend de l’avancée des freestyles.
Les sons y’en a des anciens, et des récents. Depuis un an je travaille dessus. Mais ouais, la plupart des freestyles “chaise pliante” sont plus récents que les sons de la mixtape.
C’était important pour toi de venir te présenter au public sans trop de featuring ou en te cachant dans l’ombre d’un grand nom ?
Ouais je voulais arriver solo. Y’a les feats pour le prestige et les feats pour la force, si tu me demande je préférerais toujours les feats prestiges, après souvent ils donnent aussi de la force. J’ai des noms de rappeurs que j’aimerais inviter, mais je voulais avoir une image personnelle bien identifiable, et ne pas surfer sur l’ombre d’un grand.
Y’a qu’un seul featuring sur le projet, Bosh, du coup pourquoi lui ?
C’est un gars du 78, qui est d’une ville pas loin de chez moi. C’est un rappeur avec lequel j’ai accroché de ouf quand on s’est rencontré pour le feat. On a appris à se connaître, c’est un crème de ouf, un gars hyper gentil et ce qui est bien c’est de ce dire qu’on fait ce feat là ensemble, et quelques semaines plus tard on se retrouve sur le tournage de la série “Validé” de Canal +. Donc ça c’est ouf, on a pu partager en plus d’un feat une expérience incroyable
Comment ça s’est passé le casting de la série, on est venu te démarcher ou c’est toi qui a passé des castings parce que c’est une activité qui t’intéresse ?
Moi l’acting, le mannequinat, c’est des activités qui m’intéressent profondément, mais pas depuis très longtemps. Quand j’apprends que y’a une série qui se fait sur le rap réalisé par Franck Gastambide, je me dit “putain ça tue j’aimerais bien être dedans”, et juste après ça on est venu me chercher pour me dire qu’on pouvait me faire passer le casting. Je le fais, 1 mois et demi après j’étais accepté sur la série. Le tournage est fini depuis août, ca arrive début 2020.
Jouer un rôle c’est assez troublant, parce que faire le beau gosse devant une caméra pour un clip c’est pas super dur, ressortir les émotions que j’ai en moi quand je fais ma musique c’est quelque chose que je sais faire. Mais il y a des émotions qui sont très dures à aller chercher quand c’est sur commande, et quand on te dit “là tu vas rire, là tu vas pleurer”, c’est extrêmement dur. Et j’adore cette sensation. Jouer c’est encore mieux que ce que j’aurai espérer et c’est que le début, alors j’imagine que dans 5 ans, j’aurai encore plus de plaisir parce que j’aurai plus de compétence.
Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour 2020, un album ou un rôle au cinéma ?
Bah les deux ! Mais pas juste un album, et pas juste un rôle au cinéma.
Crédits photos: LeTripleSept