Loveni, l’oiseau de nuit
16 avril 2019
Léo Chaix
Vous connaissez forcément Myth Syzer, certainement Ichon, et peut-être un peu moins Loveni. Pourtant, si un membre du crew Bon Gamin mérite d’être mis en lumière, c’est bien ce jeune parisien de 26 ans qui vient de sortir son premier projet solo « Une nuit avec un bon gamin ». Après avoir écumé les clubs et les bas fonds de l’underground parisiens en équipe, Loveni commence enfin à faire parler de lui. En témoigne sa sélection pour la mixtape “La Relève” produite par Deezer, auprès de Zed Yun Pavarotti, Laylow, Isha ou encore Diddi Trix. Une reconnaissance méritée pour un oiseau de nuit qui déploie enfin ses ailes.
L’avantage de traîner souvent à Strasbourg-Saint-Denis, centre de Paris prisé par une population très variée allant du bobo en trottinette électrique rejoignant ses collègues pour l’afterwork aux coiffeurs africains vous promettant la coupe de Justin Bieber ou Pogba, c’est que retrouver Loveni n’est pas compliqué. Traînant beaucoup dans ce quartier, dans lequel Jeune LC, rappeur, entrepreneur et ami de Loveni a longtemps tenu un bar, il propose de s’asseoir en terrasse d’un restaurant turc. L’occasion pour nous de discuter du lancement de sa carrière solo et de son style de vie, dans lequel les femmes, la nuit, l’alcool et Uber se croisent dans un tourbillon enivrant jusqu’au petit matin. Comme si le lendemain n’existait pas.
Salut Loveni, le projet est sorti. Il s’appelle Une nuit avec un Bon Gamin. Tu as bien fêté ça ? Tu as fait la release au Badaboum (boîte de nuit hype près de Bastille, ndlr) j’ai vu.
On a bien fêté ça oui. En fait on l’a fait en deux temps. Le jour de la sortie du projet on a fait une soirée à l’hôtel Bourbon rue des Petites Ecuries, mais un truc un peu plus intimiste, avec la famille, ma mamane, tout ça. Et après on a fait un concert un peu plus public au Badaboum oui. C’était une vraie, belle fête, avec tous les gens impliqués dans le projet qui sont passés. Un vrai plaisir.
Y’a une tournée de prévue derrière ?
Tournée, c’est un bien grand mot mais oui quelques dates. Je n’ai pas de tourneur, donc on m’en propose certaines et je vois si je peux, si c’est faisable. On a un tourneur pour Bon Gamin, mais pas pour Loveni. J’ai pas de manager non plus, je gère tout seul. J’ai juste un label en distribution chez Believe pour pouvoir sortir mes projets facilement, mais sinon toute la production c’est Bon Gamin Ent.
Tu as eu pas mal d’appui média avec ce projet, surtout à travers Mehdi Maizi qui t’apprécie beaucoup. Tu vas faire partie de La Relève, la mixtape produite par Deezer qui sort le 16 avril…
Ouais c’est sympa ça. Je ne connais pas grand monde honnêtement, à part Varnish qui est un bête de producteur, que j’apprécie beaucoup. Faut surtout que j’aille écouter le reste pour me faire une idée de tout ça. Mais super nouvelle en tout cas.
Tu as l’impression d’avoir step up en notoriété avec cet EP ?
Je sais pas si j’ai step up, mais ça officialise mon nom quoi. Avant j’étais suivi par les mecs qui connaissaient Bon Gamin, ou ceux qui diggaient dans l’underground parisien, mais pas plus. Là j’ai enfin ma carte de visite en solo et ma carrière peut se développer à partir de ça. Après en terme de notoriété je pense pas non plus, j’ai pas eu une énorme couverture média, mais j’ai eu ce à quoi je pouvais prétendre, voire plus, mais ça reste confidentiel.
LC : C’est surtout un projet qui ouvre la porte à beaucoup de choses derrière.
Exactement. Et faut surtout que derrière j’enclenche bien. Là je vais défendre un peu le projet, je vais sortir un clip bientôt, pour Verse la gnôle, après on verra. Mais j’ai du matériel pour la suite en tout cas.
Ton ambition dans la suite de ta carrière, c’est de t’affirmer seul en tant que Loveni, ou bien de rester très affilié à Bon Gamin ? Parce que dans ce groupe, c’est très entre vous j’ai l’impression… A part Syzer peut-être.
Ce n’est pas une volonté de rester forcément avec Bon Gamin. Je fais juste du son avec les gars avec lesquels je traîne, je ne me prends pas la tête…
LC : le truc c’est que les choses se font de manière très naturelle en fait. Par exemple si moi je suis en feat sur un son, c’est parce que j’étais en studio le soir même, j’avais un texte, je l’ai posé, point. C’est comme ça qu’on crée. Y’a pas d’architecture particulière. C’est très spontané.
J’ai envie de continuer à faire de la musique de groupe comme on a toujours fait, mais y’a pas de projet Bon Gamin en tant que tel parce qu’on n’arrive pas à être un groupe. On défend beaucoup nos carrières solo, ce qui est top, mais j’ai envie de garder cette énergie de groupe. Je vais pas mal bosser avec PH Trigano également, qui est sur pas mal de prods du projet et avec lequel je m’entends très bien.
Et tu vas chercher à rester dans une vibe underground et intimiste comme tu as été jusqu’à présent, ou tu aimerais pop up à un niveau plus grand public ?
Si rester underground ça veut dire avoir un public qui te suit depuis longtemps, qui t’est fidèle et qui grandit au fur et à mesure des projets, alors oui, carrément. Aujourd’hui quand je regarde ce qui marche en grand public, ce n’est clairement pas une musique qui me correspond, en tant qu’artiste je veux dire. Je ne fais pas du tout la même chose, donc c’est sûr que je ne ferai jamais un Stade de France (rires).
Je préfère continuer à faire ce que je fais et développer ma niche avec un public qui comprend ce que je fais, sans dénaturer ma musique ni chercher à fonctionner. Et si ça marche, alors ça marche, et c’est très bien… Mon ambition c’est de faire de la musique intemporelle, quelque chose qui ne soit pas marqué par son époque. Quand tu écoutes des mecs comme Currency, Tom Kennedy, tu peux retrouver ce côté intemporel chez eux.
LC : y’a un côté old school dans ce qu’on fait, mais aussi très récent. Ce projet aurait pu sortir il y a cinq ans, comme dans cinq ans, il aurait quand même été dans l’ère du temps.
Et c’est très parisien aussi. Dans les placements, dans le flow… Y’a un côté très festif aussi.
Ouais, mais ça c’est deux choses différentes, le côté parisien et le côté festif. En fait moi j’aime les artistes qui rappent leur ville. C’est quelque chose dont on a beaucoup parlé avec LC, et qu’il fait aussi depuis longtemps. Des gars comme les X-Men, t’écoutes ce qu’ils font, ça sent Paris.
LC : la qualité d’un artiste, c’est de faire ressentir sa ville, son lifestyle, son background, son environnement. Si un mec de Panam va rapper avec l’attitude d’un gars de L.A. ou d’autre part, tout de suite ça sonne pas vrai. La musique c’est un voyage, donc si t’es par embarqué dans une ride sincère dans ton voyage, forcément ça le fait pas.
Après je sais pas si dans les prods ça se ressent beaucoup…
Pas forcément dans les instrus, mais tu vois dans les thèmes abordés, dans ta façon de t’exprimer… Tu entames le projet dans un Uber quand même !
Ouais exactement, le Uber c’est très parisien depuis que c’est arrivé, et on était réellement à l’arrière d’un Uber quand on a gratté ça. Et je kiff la fête, tout simplement. Ca a été tabou pendant longtemps que le rap était une musique de fête, mais c’est une musique de club et moi c’est aussi cette partie là que j’aime.
LC : y’a les deux côtés, la fête et le côté revendicatif, qui sont les deux faces d’une même pièce. Les block parties de base c’était pour faire la fête.
C’est à la sortie de The Message que ça a plus ou moins basculé, non ? Grandmaster Flash qui vient et retourne la situation.
LC : ouais c’est ça. Même moi quand je fais des sons j’incorpore ce côté festif, mais j’ai également besoin de raconter des choses réelles et moins drôles aussi.
J’allais y venir d’ailleurs. Tout est un prétexte pour faire la fête j’ai l’impression, mais souvent une fête triste. La phrase qui résume ça pour moi c’est quand tu dis « Hier, on m’a appris qu’un d’mes proches est parti / Que puis-je faire d’autre si c’n’est célébrer la vie ? ». C’est très expiatoire la fête finalement non ?
Ce n’est pas juste une question de fête pour moi. C’est aussi une question de liberté. On a tous fait des choix dans nos vies respectives qui nous mènent aujourd’hui à être les maîtres de nos destins, donc quand il y a des choses préoccupantes, on s’en occupe, quand des choses vont bien, on les vit à fond. C’est plus un style de vie global qu’une narration insensée de nos vies. C’est plus une question de liberté pour moi.
LC : on est des autodidactes, des entrepreneurs, notre musique on la fait comme on la sent, on a jamais étudié ça. C’est une façon de nous exprimer avec les moyens qu’on a à disposition.
Depuis le temps qu’on entend parler de toi à travers Bon Gamin, c’est le premier projet que tu sors pourtant. Combien de temps tu as pris à mûrir cet EP en fait ?
Je n’ai pas mis tant de temps que ça à le construire. En revanche, j’ai mis du temps dans ma vie à ne faire que de la musique. Je ne suis pas quelqu’un d’organisé, et quand t’es désorganisé c’est très compliqué de se mettre à fond là-dedans. Aujourd’hui j’arrive à en survivre, des choses comment à tomber. Ça fait longtemps que je suis en studio, plus de dix ans, donc faire des morceaux je sais faire. Mais c’est juste la planification qui me manquait. Ce projet là, je l’ai fait en un an. J’avais des morceaux, je ne savais pas quoi en faire, j’ai fait le tri, j’ai essayé de raconter une histoire autour et ça a donné cet EP. Clairement c’est mon style de vie qui a retardé la sortie, un moment je travaillais tous les jours en restauration, donc pas le temps. La vie, tout simplement.
Ce qui a changé la donne aussi c’est qu’on a eu accès à un studio, dans lequel on pouvait squatter quand on voulait le soir et la nuit. Donc à partir du moment où on a eu ce plan on a enchaîné. Tout se passait là-bas : on maquettait et on posait au studio. On avait un endroit à nous, comme un atelier d’artiste, dans lequel on passait notre temps, ça change la vie.
Sur Verse la gnôle, si t’écoutes bien, y’a des adlibs dans le refrain qui répondent à ce que je dis. Et ben c’est LC qui est rentré dans le studio dix secondes avant, il a pris le casque direct il est rentré en cabine et il a lâché ces backs. C’est vraiment dans cet état d’esprit que s’est fait le projet. Comme ça et surtout sous pills (rires).
Et encore, je dis « un » bon gamin pour mettre un peu le focus sur moi, mais si y’a le nom du groupe dans le titre de l’album, c’est aussi et avant tout pour faire comprendre que ce projet, c’est une affaire de famille.
LC : mais comme Stomy a pas pu poser dessus, on l’a appelé Une nuit avec un bon gamin.
Quelle est l’importance d’une femme pour faire la fête ? Qu’est-ce qui est plus grisant entre un shot de sky et le parfum d’une fille ? J’ai l’impression que la figure féminine est indissociable de la fête dans ta musique.
La femme a toujours été une source d’inspiration, tant pour faire la fête que pour faire de la musique. Y’a pas de fête sans femme, ni de femme sans fête. C’est indissociable.
Quelles sont les femmes qui ont été importantes dans la construction de ce projet ?
Plusieurs, mais ma copine déjà. Elle est en cover de dos sur la pochette, et elle a clairement été super importante oui. C’était intéressant d’avoir un avis féminin sur ma musique, de quelqu’un de confiance en plus dans l’élaboration du projet. De voir que ma copine a pu kiffer ce que je faisais ça faisait plaisir, de voir qu’elle soit touchée et intéressée. Un morceau comme Relance, ça peut passer en club, et tout le monde pourrait danser dessus, que ce soit validé par des femmes comme par des gars, ça me plaît.
Comment est-ce que tu as façonné ce projet dans son écriture, sa recherche de prods… ?
Je suis quelqu’un qui a beaucoup de mal à travailler seul, j’ai beaucoup besoin d’être entouré. Donc à part Le piège que j’ai écrit seul chez moi, et Toute la nuit que Myth Syzer m’avait envoyé avec le refrain, tout le reste a été fait sur le moment même. La plupart des prods, c’est les beatmakers, soit Syze, soit PH, soit Brodi qui étaient là, qui balançaient un truc et on partait dessus. Y’a quelque chose de très spontané, une effervescence créée sur le moment avec les gens qui m’entourent. Et c’est comme ça que je veux continuer à travailler.
Crédits photos: Ivry Zoo