On a passé une nuit dans le seul camping… de Bruxelles
14 août 2018
Bruxelles n’est décidément pas une ville comme les autres. C’est l’une des très rares capitales européennes à proposer aux touristes un camping. Annoncé comme « pas cher et convivial », Ciel Ouvert (c’est son nom) attire pendant juillet et août de nombreux étrangers, mais moins qu’avant. On a testé pour vous ce camping en ville. Entre boites de conserve et fientes d’oiseaux.
Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour vous divertir et vous informer, vous, chers internautes de Check, hein ? Dernière idée fantaisiste en date : délaisser mon nid douillet le temps d’une nuit pour aller faire du camping. Mais pas n’importe où, à Bruxelles ! Il n’en existe qu’un seul, et j’ai voulu tenter l’expérience.
Au moment de préparer mon sac, c’est la sérénité qui règne. Je ne pars pas en terre inconnue, loin de là (coucou Kev). L’essentiel empaqueté –un caleçon, une brosse à dents, du PQ, une photo de mon mentor d’occasion– j’embarque la tente, je ferme à double tour, et je suis parti. Quinze minutes plus tard, me voilà déjà arrivé à destination ! C’est pas beau ça ?
À deux pas de la place du Luxembourg, un grand panneau indique la direction à prendre pour rejoindre le camping. Après avoir longé l’église du Saint Sacrement, bienvenue au camping Ciel Ouvert de Bruxelles.
Je découvre, au-delà d’un potager bien entretenu, un grand jardin où une grosse vingtaine de tentes sont déjà plantées. Il fait beau, les campeurs profitent du soleil, préparent le repas du soir ou prennent l’apéro. L’endroit est dépaysant et agréable. Difficile à croire qu’en trois minutes, je peux prendre un train… mais pas de vacances pour les vrais gars.
Chacun est le bienvenu
Il me tarde d’aller m’installer. À l’accueil, Eugene, qui est bénévole, m’explique que je peux choisir mon emplacement comme bon me semble. J’opterai pour aller en-dessous des arbres afin d’éviter les premiers rayons du matin. Expert dans le montage de tente (pas une vulgaire « 2 secondes », et ouais les tantix !), je le suis peut-être moins dans le choix de la place. Au devant de l’une de mes tentes voisines, trône en effet une paire de chaussures d’enfant, de petit enfant. Le réveil s’annonce de bonne heure…
Les familles font évidemment partie du public de Ciel Ouvert, mais il y a également de nombreux jeunes qui profitent du bon prix et de l’ambiance unique du camping. « Nous travaillons également avec l’association ‘Vacances pour tous’ qui permet à des jeunes défavorisés de voyager », me confie Innocent Higiro, le responsable depuis 10 ans. « L’idée est de faire comme dans le jardin d’un ami. Il n’y a pas d’emplacements prédéfinis, pas de check-in et de check-out. On rentre et on sort selon ses envies ! »
Créé il y a environ 20 ans (Innocent ne se rappelle plus la date exacte), le camping n’était initialement pas prévu. C’est d’abord la commune d’Ixelles et la communauté jésuite vivant sur place qui avaient pour idée de remplacer l’ancienne auberge de jeunesse. Le grand jardin étant un véritable atout, c’est finalement un camping qui a vu le jour.
Moins de monde qu’avant
Je suis arrivé un « bon » jour : habituellement, il y a beaucoup moins de campeurs. Le succès d’antan semble lointain, les attentats de Bruxelles n’ont pas épargné Ciel Ouvert. « Avant, le jardin était rempli. Nous avions quatre étudiants qui travaillaient à temps plein les deux mois d’ouverture (juillet et août) », explique Innocent qui adore donner de son temps à ce projet. Le public a également changé. Le responsable rigole quand je lui demande d’où viennent les campeurs. « Vous êtes le seul Belge ! Ce sont beaucoup de Français, de Hollandais et d’Allemands qui logent ici. » « Nous avons déjà eu des Chinois et des Ouzbeks », rajoute Eugene. Les Portugais et les Espagnols composaient une importante partie des campeurs, mais c’est beaucoup moins le cas aujourd’hui. Sans doute un effet de la crise, admettent les deux hommes.
(Innocent et Eugene lâchent leurs meilleurs pouces bleus)
Sur le camping, une seule et assez stricte interdiction : le couvre-feu à 23h. Pas question de faire la fête dans le jardin tard dans la nuit, il faut respecter nos voisins de tentes, mais également les trois communautés situées autour du camping (la Viale Europe, Sophia et le béguinage). De plus, une certaine tenue est de mise. « Il y a tout de même une statue de la Vierge Marie et du Christ dans le jardin. Si on pouvait donc éviter les maillots à la Borat… », rigole Eugene en se remémorant une scène passée.
Une situation parfaite
Ma discussion finie avec Innocent et Eugene, je décide de faire un tour dans le jardin avant qu’il ne fasse noir pour rencontrer mes voisins d’une nuit. Pourquoi ceux-ci ont-ils fait le choix du camping dans la capitale européenne ? Les cris et les rigolades m’attirent premièrement vers un groupe de mecs qui a installé ses six tentes pour former un cercle. Les bières se vident et je suis accueilli très calmement par une baisse de la musique. Tout droit venu de Calais, ils sont onze et enterrent la vie de jeune garçon de Vincent. Le futur marié arbore fièrement un élégant t-shirt Je vais me marier et les autres ne sont là que pour boire. « On se plie à ce qu’il est écrit », lance Jean-Sébastien avant de me décrire la suite de la soirée : « Beer-bike, on sort en boîte, et puis on essaye de rentrer. » Gabriel, le « responsable » (il boit du Monster, c’est plausible), m’explique leur choix du lieu. « De Calais, on y est vite, et un camping dans une capitale, c’est génial, il n’y a pas ça ailleurs ! Il y a tout ce qu’il faut pour faire la fête, on rentre à pied tranquille, et bourré… »
L’ambiance est plus calme chez les Lyonnais Magaly et Romain, où le réchaud fait bouillir l’eau des pâtes. « C’est le menu classique, avec des boites de conserve », explique le lycéen de 17 ans. Miam. Mère et fils, ils sont tombés sous le charme de Ciel Ouvert l’année passée, quand ils n’étaient que de passage. « Pour nos vacances cette année, on a décidé de visiter la Belgique en camping. C’était donc l’occasion de revenir. Et Bruxelles est une magnifique ville. » Cette année, pas de problème pour arriver à bon port. Alors que « quand nous sommes venus il y a un an, nous étions perdus. Mais personne ne pouvait nous aider. Même les Bruxellois ne connaissaient pas le camping ! », se souvient Magaly.
(Tongs et bonne ambiance pour Diane et Gisèle)
Un peu plus loin, je rejoins Diane et Gisèle, qui viennent de finir de manger. « On vient d’Amsterdam et pour aller à Gand, il faut qu’on passe par Bruxelles. Alors on s’est dit que c’était l’occasion car on ne connaissait pas trop », m’explique Diane, la sœur aînée. « La veille de partir, on ne savait pas où dormir, mais quand on a trouvé le camping et vu où il se situait, on a sauté sur l’occasion. On peut facilement visiter la ville à pied, c’est vraiment chouette. »
Durant tout ce temps, Ciel Ouvert n’a pas arrêté de vivre : une discussion entre deux tentes voisines autour du conflit israélo-palestinien et la guerre en Syrie est engagée ; mon petit voisin se fait rappeler à l’ordre par son père ; d’autres n’échappent pas à la vaisselle. La nuit est presque tombée, et il est temps pour moi d’aller manger. Je ne suis pas (encore ?) équipé comme le parfait campeur, j’irai donc satisfaire mon estomac dans l’un des nombreux restaurants et snacks accessibles à quelques minutes à pied.
De retour sur le camping vers 22h30, on sent que le couvre-feu approche. Il fait calme et les tentes sont nombreuses à être remplies de leurs occupants. Je m’en vais faire pareil, j’ai hâte de sentir les bouts de bois dans mon dos à travers mon (très) fin tapis de sol. Fidèle au poste, aux alentours de 23h, Eugene fait sa ronde pour rappeler l’heure qu’il est aux tardifs. Bonne nuit !
Plus jamais en-dessous des arbres
Au réveil, plusieurs surprises, bonnes et moins bonnes. Il est environ 9h (il suffit de compter le nombre de coup que sonne l’église) quand je sors de ma tente et je me rends compte que le petit qui me prédisait un réveil matinal n’est toujours pas levé. Ce sera chose faite quelques minutes plus tard : sympa de m’attendre ! Les Calaisiens, au vu de leurs yeux, ont bien enterré la vie de garçon de Vincent. Mais ils sont déjà debout et replient bagage. La moins bonne surprise vient des arbres. Si l’emplacement me paraissait intéressant pour être à l’ombre et ne pas mourir de chaud dès les premiers rayons, il était pile à l’endroit où les oiseaux aiment déverser leurs fientes. Ma tente a dégusté !
À cette heure-là, certains ont déjà disparu, d’autres prennent le petit-dèj ou passent à la douche. Pour ma part, je (nettoie et) replie ma tente. En partant, j’aperçois les Espagnols arrivés et installés pendant la nuit. Rappelez-vous, « comme dans le jardin d’un ami ! »
(Crédits photo: Léopold Darcheville)