On a rencontré le meilleur pianiste du rap français
14 mars 2018
Check
Pianiste reconnu du milieu Rap francophone (et parfois méconnu du public), Sofiane Pamart est un artiste hors norme aux activités étonnantes. Thomas, jeune rédacteur de Check, est allé le voir pour parler de ses ambitions, ses rêves et ses souvenirs. Portrait.
“Pas de problème, nous on est OP ! Tu peux venir ce jeudi à Châtelain ?”. Le rendez-vous est pris. J’allais donc traverser la ville, moi le petit Schaerbeekois, et passer l’après-midi avec le pianiste Sofiane Pamart.
J’arrive à l’adresse indiquée. “Bienvenue dans les bureaux de Lekey ! Thé ou café ?”. L’appartement est moderne, épuré. La classe. Dans le coin de la pièce, son instrument, électronique. “Partout où je vais, un piano me suit”. De l’autre côté, écran plat et Playstation 4. “Ça vous dit un DBZ après ?”. L’ambiance est détendue.
Ascension entre art et business
Sofiane est un homme aux multiples facettes. Français, il est médaillé d’or du conservatoire de Lille et professeur de piano diplômé d’Etat, métier qu’il exerça un temps. Profitant de ces expériences, il crée actuellement une start-up, YouPiano, qui produit un objet permettant d’apprendre le piano avec des voyants lumineux, sans passer par le solfège. Le prototype est terminé et un crowdfunding sera mis en ligne prochainement.
Il a aussi créé son propre label, 88 touches productions. “Je divise mon temps en deux: l’artistique et le business. Mais c’est toujours lié au piano.”
A côté de ça, Sofiane se fait connaître dans le milieu du rap. D’abord via le groupe Rapsodie “1 piano (lui-même), 1 basse, 1 batterie, 2 voix” et puis surtout via les vidéos En Résidence, en collaboration avec 3e gauche, où il invite la crème du rap français. Il fera notamment connaissance avec Médine, qui l’invitera plus tard à l’Olympia. “C’était exceptionnel. L’Olympia, ses grandes lettres rouges… Je me rappelle spécialement du morceaux Lecture aléatoire qu’on avait repris en invitant les plus grands : Kery James, Youssoupha, Lino,… ‘Sais-tu vraiment ce qu’est le rap français ? Pas une machine à sous,mais une machine à penser’…’”
Plus tard, toujours avec En Résidence, il rencontre Scylla. “C’est l’histoire d’une vidéo qui ne verra jamais le jour. Scylla, c’est le seul artiste que j’ai rencontré avant le tournage. Le courant est tellement bien passé qu’on est directement passé à des projets plus importants”. Cela se passait fin 2013. Presque 5 ans plus tard, la collaboration est plus forte que jamais et vient de faire trembler La Cigale à Paris. Un album commun est en cours de création.
« On fait tout ensemble. Avant on se voyait tous les dimanches. On passait la journée à discuter. On se cherchait sur notre manière de créer. Aujourd’hui, on est arrivé à une superbe compréhension de l’autre. Gilles (ndlr : Scylla) a un certain rapport au travail, il va écrire énormément, c’est une sorte de transcendance qui prend beaucoup de temps, ça monte petit à petit et ça se sent dans ses morceaux. Moi c’est l’inverse, c’est une fulgurance. Je dois sentir un bouillonnement émotionnel. Il a compris ça et il réussit à me mettre dans cet état particulier” raconte Sofiane.
« Faire un morceau au piano, c’est vraiment se mettre à nu. Il y a le minimum d’artifices possibles. Avec Gilles on veut pousser le concept encore plus loin en créant un album entier de piano-voix.“
Le rap pour casser les codes du conservatoire
Le jeune lillois a un parcours atypique. Il passe la moitié de son temps au conservatoire, l’autre à écouter du rap.
« Je n’ai jamais écouté beaucoup de musique classique, à part celle que je jouais. Pendant longtemps, elle est restée étrangère pour moi. J’écoutais du rap avec les potes et ce qui m’attirait, c’était ce qui se passait autour. Cette capacité à rendre tout possible sans aucun moyen me faisait kiffer. L’état d’esprit de la clique de pote qui veut faire quelque chose, ça me parlait. Ça part souvent dans tous les sens, mais parfois ça marche super bien, comme avec Din Records (ndlr : label de Médine). A la base, c’est une bande d’amis du Havre, mais ils ont développé des compétences individuelles très poussées. Et l’idée qu’il n’y ait pas de règles m’inspire aussi. Le rap m’a aidé à m’autoriser ce qui était interdit au conservatoire. »
« Moi, je ne suis pas fils de musiciens. Mes parents m’ont poussé, mais au conservatoire il y aura toujours une différence avec les enfants qui ont baignés dans la musique depuis la naissance. Je compare ça aux fils de Moldus et Sorciers dans Harry Potter. Le conservatoire est très difficile et beaucoup abandonnent en cours de route. Il faut s’accrocher. » explique Sofiane.
C’est ce qu’il a fait. Il finit le conservatoire et s’engage dans un Master en management. « C’est là que j’ai rencontré mon manager Guillaume. On prenait les études avec beaucoup de détachement. D’ailleurs, lui a arrêté en cours de route, pour au final réussir mieux que n’importe qui. Un jour, on est parti en Bretagne, loin de tout. On a réuni l’équipe et mis en place le projet. Et c’est là que tout a commencé. Un moment fort, c’est quand on est parti à Séoul pour un clip, en octobre (qui n’est pas encore sorti). Pour une idée qu’on a eu en Bretagne, on se retrouve à l’autre bout du monde. Cela montre notre détermination. On a toujours cru en nous. »
Sofiane a les idées claires et de l’ambition. Je le remarque directement. Pourtant, pianiste, c’est un rôle de l’ombre souvent relégué à l’arrière de la scène et qui n’a pas forcément toute la reconnaissance méritée. Je lui demande quel effet cela fait.
« Moi, je veux prendre la première place au piano. C’est mon ambition personnelle. Je suis à la recherche d’une posture d’artiste à part entière, comme l’est un rappeur. Et le faire en étant pianiste, c’est un défi. Je pense qu’on est à une bonne période artistique pour ça. Tout est possible et c’est ça qui est génial. Je suis radical dans mon travail, je recherche la perfection et je suis près à en faire dix fois plus qu’un autre.”
« Sur Instagram par exemple, tout le monde sait à quel point la communication visuelle est importante, mais elle l’est encore plus pour moi, en tant que pianiste, pour me faire connaître. Une carrière artistique, c’est injuste. Peu sont récompensés à la hauteur de leurs efforts. J’en suis conscient et pour ça je veux mettre toutes les chances de mon côté. »
« J’ai des rêves. J’ai même une to-do list. Composer pour un film comme Intouchable, une victoire de la musique, produire un animé,… En fait, on a même fait un tournoi du pouvoir avec Guillaume (ndlr : son manager) qui contient plusieurs challenges. Le premier à faire disque d’or, par exemple. Je veux y aller par étape. J’adore produire et tant que je serai là-dedans, je serai heureux. Le but est dans le chemin, je suis conscient de ce qu’il me reste à accomplir. »
De Médine à Scylla
A court-terme, l’album en duo avec Scylla et un projet solo sont les priorités, en plus de la commercialisation de son produit, Lekey. A l’heure d’écrire ces lignes, Médine vient d’annoncer la tracklist de son nouvel album, Storyteller. Avec une petite surprise sur la track 9.
« Dans le clip avec Scylla, j’ai brûlé un piano. Et ça m’a fait du bien ! Parce que j’ai une relation fusionnelle avec lui. Il m’apporte beaucoup et me fait du mal aussi. Quand je n’arrive pas à m’adapter à un artiste par exemple, quand l’inspiration ne vient pas, ça peut me ruiner la vie. Je n’en dors plus. »
« La musique change énormément, l’exigence s’est déplacée avec la modernisation. Mais le piano a et aura toujours sa place. S’il y a un objet sur lequel je peux parier, c’est le piano. Je veux dire, quel objet sera encore là dans 100 ans ? Le piano. J’en suis convaincu. » conclut-il.
Du piano pour accompagner le bruit qui pense.
Thomas Haulotte (Auteur invité)
Crédits photos: Renaud Héritier et Andy Sabkhi (pour la superbe photo à la Cigale)