Vous saurez tout sur Moka Boka
29 janvier 2020
Martin Vachiery
Si vous n’étiez pas encore convaincu en 2018 (la première fois qu’on vous parlait de lui) cette fois on en est sûr : vous allez tous écouter Moka Boka ! Alors qu’il présente son nouveau projet « Juste avant Kwami », le rappeur belge d’origine congolaise s’affirme comme l’un des artistes les plus singuliers du paysage francophone. A la croisée d’un Luidji, Josman ou Oxmo (dont il fait les premières parties) on vous embarque dans l’univers de Moka.
Pour l’occasion, c’est Martin Vachiery qui se déplace, rendez-vous est pris à Ixelles au Studio 202, un incroyable complexe photos / images, où la talentueuse Adèle Boterf fait ses shootings photos et où Moka Boka a tourné son clip « Yeux Doux ». Ce jour là, Moka arrive en avance, souriant et cool comme à son habitude, pour parler de sa musique, de sa vie, d’amour et de santé mentale.
Martin : On va commencer par une petite session linguistique en lingala. Déjà m’bote na yo Moka (Bonjour Moka).
Moka : Malheureusement je ne parle pas bien lingala, mais j’ai compris, bonjour à toi !
« Moka Boka » donc c’est celui qui raconte les histoires ?
Voilà, en fait c’est surtout Boka, donc Boka en Kikongo c’est le nom de famille de mon père, ça veut dire celui qui raconte les choses. Comme un prophète. Moka c’est mon nom de famille donc ça donne Moka Boka. Ça je l’ai compris bien après parce que quand j’ai créé mon blaze, je ne savais même pas que Boka ça voulait dire ça. J’ai juste repris le nom de famille de mon père. C’est un hommage à mon père.
Pour pas que ce soit relou c’est moi qui vais faire les présentations à ta place. Donc tu es un jeune rappeur de Bruxelles, tu viens de Schaerbeek. Tu as 26 ans, on pourrait dire que tu es un artiste timide, romantique et sensible. Ça te va ?
Ouais c’est ça. Ça colle bien à mon image.
Qu’est ce qu’on pourrait rajouter de plus ?
Universel.
C’est bien ça !
Je me sens comme ça. Je suis de Bruxelles, mais j’ai toujours aimé voyager. Et je me sens bien partout. J’aime pas être bloqué quelque part. Et la musique c’est universel. Donc ça c’est cool.
Dans ta bio, il est écrit que tu es un « rappeur romantique ».
Ouais mais ça c’était à l’époque. En vrai, j’aime pas trop cette description-là. Parce que ça me bloque, ça me met dans une case. Je ne me considère pas comme un rappeur romantique, parce qu’en vrai, si t’écoutes ma musique, je ne fais pas des sons à l’eau de rose en mode « chérie je t’aime t’es trop belle ». C’est juste que la façon donc je m’exprime, je parle beaucoup de femmes, parce que c’est un truc qui me touche. Je parle de tout ce qui me touche, en règle générale. Je ne me dis pas je vais faire un son pour gérer des go. J’ai pas besoin de faire de la musique pour gérer des go. J’ai pas besoin de ça et j’aime pas en parler même. Quand je rencontre des gens , je ne dis pas que je suis artiste.
Ton album parle de toi, de tes excès, d’anxiété et de santé mentale aussi. Depuis quelques temps, dans le rap francophone (voir le travail de Shkyd et cette interview d’Isha), il y a une porte qui s’est ouverte pour parler de « mental health ». C’est une bonne chose de se dire qu’on a passé le cap de prétendre qu’on est tous des gros durs, non ? C’est plus péjoratif d’être « fragile »
C’est la base de ma musique. Dans le sens où, j’ai sorti des morceaux, à l’époque, il y a « Blues » par exemple, c’est un des premiers sons qui m’a fait connaître et ça parle du blues, de la mélancolie. Ça je l’avais fait il y a 4 ans, c’est un des premiers morceaux que j’ai sorti sur Soundcloud. Moi c’est un truc qui m’a toujours touché, mes artistes, mes références c’est des gars comme Kid Cudi, Kanye West, Drake aussi que j’aime beaucoup. A l’époque c’était nouveau, de commencer à parler de ses « feelings ». Moi je trouvais ça cool. C’était en opposé avec 50 Cent, le rap plus gangsta, que j’aime aussi beaucoup. Mais mine de rien, 50 aussi il était sentimental, t’écoutes par exemple « Many Men », c’est un morceau deep à mort, il parle de sa peur parce qu’il s’est fait tirer dessus et tout. Moi je pense que c’est important de parler de ça, moi si je le fait c’est naturel encore une fois. J’ai pas réfléchi dans ma tête je vais commencer à parler de « mental health ». Ma musique c’est un reflet de ce qu’il se passe dans ma tête. Si je fais un morceaux sur l’anxiété c’est que je me sens anxieux.
On se connait un peu, même si on n’est pas intimes (rires), et je sais que tu es quelqu’un qui se pose beaucoup de questions, ça se ressent dans l’album. C’est ce qui touche les gens à l’écoute de ta musique.
Le projet a été composé comme ça aussi parce que j’ai ressenti une sorte de pression après ma signature en label. Juste avant ça, pendant peut-être 6 mois, je n’ai rien crée. Et je me suis remis en question beaucoup, je me suis dit là je rentre dans un game, je vois il y a pleins de rappeurs qui sont chauds… Je me suis dit il faut que je fasse des sons comme-ci, comme-ca… J’avais pleins d’avis de tous les sens. Puis je me suis dit qu’il fallait que je reste moi-même, de continuer à faire comme je faisais. Quand j’ai écrit ce projet, je voulais un truc complet, c’est pour ça il y a une intro, une outro et des interludes. Tant que je n’avais pas ça, je ne voulais pas sortir de projet. C’est juste que je ne voulais pas sortir un truc trop rapidement. Parce que c’est ma musique. Quand elle sera sortie, je veux pas regretter. Donc j’ai pris mon temps.
A côté de ça, tu me disais que malgré tout le projet s’est fait un peu à l’arrache.
Ouais de ouf. Après c’est comme ça que je fonctionne aussi. J’ai vécu des choses. Pour la petite anecdote, je me suis embrouillé avec mon ancien manager. Des bails de procès et tout. J’avais envie d’arrêter le son. C’était chaud. Ça a duré 6 mois. En gros, quand j’ai signé c’était une question d’argent et tout … C’était un pote d’enfance, donc j’étais dégouté. A côté de ça t’as Idol qui me dit qu’il faut que je sorte de la musique, à côté de ça je perds mon pote que je connais depuis 15 ans. Pendant tout ce temps, j’étais vraiment enfermé dans ma bulle, j’ai eu envie d’arrêté. Heureusement j’avais mes frères ou mes proches. Puis j’ai eu des concerts aussi. Je me rappelle j’avais fait Dour, ça m’avait donné beaucoup de forces. Le public aussi m’envoyait des messages. Je me suis dit « bon, il faut quand même que je sorte un truc ». Je suis parti au Canada. Ça c’est l’histoire du projet. Donc oui c’est un projet qui a été fait à l’arrache, à cause de certaines conditions, mais je suis content aussi de l’avoir sorti parce que ça reflète vraiment l’état d’esprit dans lequel je suis maintenant. Ça c’est cool.
Le Canada, c’est une partie importante de ce projet ? Parce qu’il y a aussi un double clip et la pochette, c’est un élément central de cette création finalement.
J’ai vécu au Canada, c’est là que j’ai rencontré ma première copine donc c’est une partie importante de ma vie, j’étais content d’y retourner. Du coup le fait d’avoir fait un clip là-bas c’est symbolique, parce que quand je suis arrivé là-bas je n’avais rien. J’ai fait des taffes relous, je travaillais la nuit dans les entrepôts, j’ai travaillé dans des restos, j’avais pas de thunes. Pendant quelque mois je voulais pas appeler mes parents par fierté, et je voulais pas dire « allo maman, papa, j’ai plus de thunes », parce que j’avais mal géré ça. Et le fait de revenir maintenant, et d’être « pluggé » avec les vrais personnes, revoir les mêmes endroits où j’allais, c’était un bon moment.
Il y a eu un énorme focus sur le rap belge à partir de 2016, mais j’ai l’impression aussi qu’il y a eu un effet négatif de ça, c’est qu’une partie du public a cru que n’importe quel artiste belge allait marcher « parce qu’il est belge ». Comment tu vis ça ? La hype et à la fois la nécessité de se démarquer.
La hype j’en profite un peu, ça me dérange pas qu’on vienne et qu’on me dise t’es stylé parce que tu es belge, moi je suis là « ok cool ! ». Sauf que comme tu dis, il y a une vraie industrie, une vraie compétition. Comme tu dis, le fait qu’on soit belges, c’est avantageux, mais c’est pas suffisant. Selon moi ce qui fait la différence, c’est le fait d’être unique d’avoir ta touche, ta patte. Si certains ont réussis comme des Damso c’est pas parce qu’il est belge, parce que déjà il taf et qu’il a une touche propre à lui. Des Roméo ou des Hamza ils ont un style à part. Moi en tant qu’artiste je veux aussi me démarquer, notamment dans le choix des prods, j’ai bossé avec des jeunes gars, des mecs de 19-20 ans comme le collectif « Le Blaze » de Paris. Si t’écoutes le projet, t’as des sonorités que tu retrouves pas ailleurs, voilà comment je veux me différencier.
T’as eu la chance de faire un « Colors », qui est une vraie exposition. Mais est-ce que c’est pas arrivé trop tôt dans ta carrière ?
Ouais, je pense que ça aurait pu venir un peu plus tard, après ce que je me dis, c’est que ça m’a clairement propulsé, aux yeux on va dire « international ». Le Colors m’a surtout connecté avec des gars d’Angleterre, des États-Unis, de pays nordiques etc. Quand j’ai fait le Colors je me rappelle, c’était juste avant leur signature à Universal. Et je trouve qu’après en faisant ça, les plus petits artistes ça les étouffe. Le principe de Colors c’était pas ça, c’était de mettre en avant des gens. Je trouvais ça un peu dommage le fait qu’il y ait moins d’artistes émergents. Maintenant, ils mettent des gars qui sont déjà populaires. Je trouve que c’est pas très intéressant.
Puis tu as eu un passage au Planète Rap de Lomepal aussi, c’était un peu compliqué non ?
J’étais à Paris et là je connecte avec Roméo pour la toute première fois. On se parle, c’est cool, il me donne plein de conseils, puis il me propose de passer au Planète Rap de Lomepal. Avant j’étais avec des potes on avait un peu bu, puis j’arrive seul à Skyrock et je me retrouve au milieu d’Isha, de Caba, JeanJass etc. Je regarde, j’observe un peu ce qui se passe, puis je me dit ok « je vais kicke » ! Sauf que je voulais rapper un nouveau texte, sans mon téléphone… là j’oublie mon texte, le stress. Je réalise ce qui est en train de se passer et je suis perdu, heureusement Isha m’a sauvé et il a repris ma vibe. Après c’était cool et c’était pas une mauvaise pub pour autant, Roméo m’a même invité quelques mois après.
Le projet s’appelle « Juste avant Kwami ». A quoi on peut d’attendre pour Kwami ?
Un truc très fort. Là je suis dans un avion, et je ne peux plus retourner sur terre et je veux juste aller le plus haut possible. Même musicalement dans le sens où ce n’est pas pour me vanter etc, juste, tout ce que je fais ensuite ça va toujours être meilleur. Kwami ça va être un projet qui sera encore mieux que « Juste avant Kwami ». Avec des nouvelles sonorités. Ça va être lourd. Je ne sais pas exactement ce que ça va donner, mais ça va être lourd.
Tu ne vas pas le faire en deux mois cette fois.
Non, je vais prendre le temps.
Tu ne vas pas te foutre de notre gueule, hein !
(Rires) Je ne vais pas vous faire attendre trop longtemps. Mais j’ai déjà 10 titres, je peux déjà sortir un projet en soi. Mais comme je t’avais dit, j’adore faire des concepts autour. Après, il ne faut pas que je le sorte trop rapidement non plus. Peut-être cet été ou en septembre. Mais j’ai pas mal de trucs, je continue à enregistrer partout. A Paris j’ai enregistré, à Londres j’ai été connecté avec des gars. Pour le moment-là, je stock les morceaux, puis on verra.
Dernière question, qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour 2020 ? Pas le droit à une réponse de rappeur ! Donc si tu me dis « déjà la santé » etc. on t’invite plus !
20k dans chaque poche. 40k.
Donnez de l’argent à ce jeune Moka !
Crédits photos : Adèle Boterf