DA Uzi: « J’ai la plus grande des armes, la parole »
18 février 2019
Etienne Antelme
Le rap de Da Uzi est à la fois beau et cru, un peu comme une plaie cicatrisée, qui laisse à son porteur quelques leçons de vie. Plein d’images fortes, comme celle d’anciens amis qui se tirent dessus, son rap est en train de capter l’attention d’une bonne partie du rap français. Suite à la sortie de sa solide mixtape « Mexico » le 18 janvier, on l’a rencontré à Paris. L’occasion de se faire une idée des ambitions du jeune rappeur, qui pourrait bien se faire un nom en 2019.
En 2017, DA Uzi a commencé à sérieusement faire parler de lui, avec une série de 10 freestyles intitulée « la D en personne », des vidéos dont une bonne partie a dépassé aujourd’hui le million de vues. Originaire de Sevran, nouvelle place forte du rap français, DA Uzi est direct, et lorsqu’on cherche à scruter les frontières séparant ses textes de sa réalité, la réponse ne se fait pas attendre. Il rappelle alors le nom du label qu’il a créé avec des amis, « Vrai2Vrai Industry ». Comme une devise, un principe directeur de son rap : « mon travail il est nourri par mon vécu, j’ai même fondé un label qui s’appelle « Vrai2Vrai », je raconte juste ma vie moi. Où ça me mène, je verrai. C’est mon concept, c’est ma base, raconter ma vie, les moments bien comme les moments tristes. Y a eu plus de moments tristes que de moments bien, mais on travaille pour qu’il y en ait, des moments bien. »
DA Uzi raconte la rue et ses mésaventures, qui finissent parfois « aux urgences de Ballanger ». DA Uzi est un enfant du 93. Il y a bourlingué avant de se poser à Sevran, à la cité des Trois tours : « petit j’ai habité à Villeparisis et avant à Villemomble. Ma mère a eu beaucoup de problèmes avec les huissiers, je suis un enfant de la misère moi, je ne vais pas mentir, j’ai atterri à Sevran parce que c’est la ville la plus pauvre du 93. Quand je suis arrivé j’avais quatorze ans, et depuis j’habite à Sevran. Y a des gens qui s’en sortent à Sevran, y a des acteurs, des chanteurs, y a plein de talents à Sevran, c’est juste que c’est une ville qui est gâchée par plein de grosses bêtises. ». Comme pour mieux mettre en vis-à-vis sa ville et le miroir tendu par son image médiatique, un de ses titres sortis en 2017 commençait par un extrait de journal télévisé, rapportant des coups de feu ayant été échangés à proximité d’une maternelle. Peu assidu au lycée, DA Uzi va fréquenter davantage la rue. De quoi raconter avec justesse la violence de ses échanges, dans ce côté « Mexico » de la ville de Sevran, comme il l’a nommé avec ses potes.
« J’ai tourné trente mois en promenade, j’ai carrément eu le temps de réfléchir »
Alors que l’exercice de l’interview est encore relativement nouveau pour lui, il semble se prêter au jeu avec sérénité, distillant ses réponses avec un regard déterminé. En signant un deal de distribution chez Rec. 118, filiale de Warner Music France, il a rejoint des noms aussi prestigieux qu’Hamza, SCH, Ninho ou encore Sadek. Mais ce fut aussi une histoire de rencontres, nous explique-t-il : « au-delà de ça, c’est parce que c’est les premiers qui ont cru en nous. Et à ce moment-là, y a un frérot à moi qui travaillait là-bas, c’est le premier qui m’a fait une proposition. Après, c’est sûr qu’il y a eu plusieurs propositions. » Quand on lui demande s’il n’a pas essayer de faire monter les enchères avec ces autres offres, il répond par la négative. Le « libanais », comme ses potes l’ont surnommé, s’est dit qu’il valait mieux miser sur le long terme : « j’étais juste dans le mode où je sais que je peux le faire. L’argent je sais que je vais le prendre après. Ce n’est pas l’argent de l’avance qui va faire ma vie, c’est pas vrai. Moi ce qui m’intéressait c’est l’argent d’après. J’ai fait un label à moi pour ça, c’est pas pour prendre une avance, que je dois rembourser. C’est même mieux que je prenne moins et qu’après j’en aie plus. »
Du haut de ses 25 ans, il assure avoir eu le temps de penser au coup d’après: « j’ai tourné trente mois en promenade, et dans ma petite cellule, je peux te dire que j’ai carrément eu le temps de réfléchir, et que tous mes coups je les ai montés bien avant. ». Il est ainsi resté à l’ombre 10 mois puis 19 mois, lors d’un second séjour, terminé il y a deux ans : « j’ai pu bien réfléchir à ce que je voulais faire, à ce que je voulais être. Et je suis sorti, et j’ai essayé de tout mettre en œuvre pour que ça marche.
Quand j’entendais rapper Nessbeal, je me suis dit: « Ah ouais, un mec comme moi il peut rapper ».
Dans sa famille, il grandit avec la culture musicale du Congo, notamment « Koffi (Olomidé), la rumba tout ça ». Mais ce n’est pas trop son truc: « quand j’entendais ça, je sortais direct dehors, fallait que je m’échappe, wallah. Mais mes sœurs elles chantaient, et moi j’ai toujours été dans la musique. C’est avec les premiers cds de rap de mon frère que j’ai vraiment kiffé. Il avait les cds de Rim-K, j’écoutais à mort« . Mais celui qui va lui servir de référence et lui donner définitivement l’envie de prendre le micro, c’est un autre val-de-marnais: un certain Nessbeal. Alors que d’autres se reconnaissaient en un Nekfeu ou un Kery James, c’est chez le emcee des Hautes Noues que DA Uzi va le plus retrouver son propre vécu. « Nessbeal il m’a donné envie de rapper. Quand je l’entendais rapper, je me disais juste: « ah ouais, un mec comme moi il peut rapper ». Moi je traîne dehors depuis que je suis petit, et quand je l’entendais rapper, c’est comme si j’entendais un grand de chez moi, et je me disais « les mecs comme nous, on a le droit de rapper ».
A l’instar de Nessbeal, DA Uzi joue avec des images fortes. Sur Ferragamo, les images sont saisissantes : « J’mets pas d’Louboutin, j’viens d’sortir d’un bain d’sang/ J’écris ce texte au pinceau, l’image tu la vois ». Elles détaillent une réalité crue, celle qui accompagne l’appât du gain, symbolisé par la marque de luxe éponyme. Italienne, comme la série Romanzo Criminale, qu’il a longtemps regardée en boucle avec ses potes au quartier. Issue d’un roman de Giancarlo De Cataldo également porté sur grand écran, son histoire s’inspire de celle bien réelle de la Banda della Magliana, organisation criminelle ayant sévi à Rome à partir des années 70, dans le contexte explosif des “années de plomb”. Il en a hérité le blaze du « libanais ». Pour ses tendances à vouloir être « le chef », ses amis ont vu un parallèle évident avec ce personnage « un peu fou », qui « criait tout le temps et s’énervait pour rien ». Son acolyte Diaz a récupéré lui le surnom de Buffle. La série met en scène des voyous jeunes, et surtout ambitieux : « c’était des petits voyous qui deviennent la mafia. A la base c’est des petits voyous de merde. Ils font un coup. On se reconnaissait à mort dans ça, déjà quand on avait 16-17 ans« .
DA Uzi semble aimer les références italiennes, citant aussi dans un morceau le nom de John Gotti, célèbre parrain américain de la famille Gambino. Quand on lui fait remarquer la récurrence de cet esprit mafiosi, il s’explique « j’aime bien comment ils s’en sortent, ils pensent qu’à leur famille, qu’à eux, j’aime bien leur façon de procéder. Depuis petit, j’ai toujours aimé les films un peu mafieux. Surtout sur ceux qui ont vraiment existé, genre John Gotti tout ça. J’aime bien voir leur histoire et comment ils ont fait pour s’en sortir. J’ai vu des films qui parlaient de lui, il a commencé, mais il a toujours eu cette ambition « non, je ne vais pas rester là à faire ça. Je le conseille à tous ceux qui vont lire l’interview, il ne faut pas se contenter de ce que tu as, faut toujours essayer d’avoir plus. C’est ma façon de réfléchir, faut pas stagner. » Un esprit de compétition qui semble se prolonger dans la fougue de jeune « chef d’entreprise » qui l’anime, quand il explique qu’il s’agit là de son premier « travail légal ». C’est aussi ce qu’il l’a aidé derrière les barreaux : « en prison t’es seul face à toi-même, on voit qui t’es. Si t’as envie d’écouter un mec qui te dit ça, tu vas l’écouter. Si t’as envie d’être un mec qui suit, tu vas être un suiveur. Si t’as envie d’être un meneur, tu vas être tout seul dans ton coin, et si ça se trouve tu vas mener des gens à je sais pas quoi. Moi je suis un meneur depuis que je suis petit, pas un suiveur. »
Un état d’esprit qui peut aussi renforcer le sentiment de solitude, thème qui revient sur plusieurs titres. Davy raconte les trahisons dans différentes phases(« ils dormaient ensemble, ils se sont tirés dessus », « La vie c’est seul m’a dit l’ancien un jour », « les amis qui qui deviennent de simples connaissances ») Il rappe même le fait qu’il se sent « plus fort quand il est tout seul » (« Vrai 2 vrai »), ce qu’il admet volontiers : « c’est un fait, j’avance et la vie elle me prouve que plus j’avance dans la vie, moins j’ai d’amis. Ou les amis qui viennent, est-ce que c’est des vrais amis? Les vrais amis ils sont plus trop là, pour différentes raisons. Comme je dis dans un texte qu’est pas encore sorti, « on est ten au départ, et maintenant je suis seul en effet. Un thème qu’on retrouve dans son duo avec Ninho, « Entre les murs » : ils rappent une amitié malmenée par la vie en prison, et la méfiance qui s’installe. « ça rend fou, des fois tu pètes ta tête sur des détails. On a un peu du mental, on arrive à garder la tête sur les épaules. Mais des fois, y a des petits détails, un mec tu vas lui demander un truc, tu vas lui dire « ouais, ça ferme à 19h« , lui il est dans sa vie de dehors, tu sais pas qu’il est dans les bouchons, à droite à gauche, il ne va pas faire ton truc à 19h, tu vas péter ta tête. Tu vas lui crier dessus comme s’il avait fait un truc de fou. Alors qu’en vrai frérot, lui il a une vie aussi, peut-être il devait aller chercher sa fille à l’école. En prison tu pètes des câbles, t’es susceptible à mort. Moi c’est pour ça que je ne suis pas trop patient je pense aussi. Le fait d’être dans des salles d’attente, d’attendre qu’on t’ouvre des portes, la prison c’est beaucoup de mental wallah, les gens ils le disent pas souvent ça. » La liberté, il la goûte pleinement: « la liberté c’est savoureux, ça n’a pas de prix.»
A l’écoute d’ « Entre les murs », on pense forcément à un illustre prédécesseur dans le rap français. Quand on lui demande si d’autres fameuses « lettres » les ont inspiré, il répond du tac au tac: « on l’a fait comme ça, mais c’est sûr que quand tu écoutes ce son, tu penses à « La lettre » de Lunatic, inconsciemment. Je le connais par cœur, c’est un classique incroyable. En toute modestie, on ne va pas faire mieux, on ne va pas se comparer à ça. Après, je l’ai juste fait en mode « je parle à un frérot, je suis à l’intérieur t’es dehors », wallah. Pour ceux qui n’ont pas vu, il faut raconter comment c’est vraiment. Il ne faut pas embellir, faut pas amochir plus que ça, faut essayer de dire la vérité telle quelle, c’est tout, comment c’est. Et quand tu vas vraiment savoir comment c’est, si ça se trouve y a des gens ils auront moins envie d’aller, moins envie de faire des bêtises pour rien. « . Avec un souci de ne pas embellir ce qui est sombre ? : « On peut dire ce qu’on veut, y a pas d’influence, chacun sait ce qu’il fait. Mais moi j’étais un délinquant et j’écoutais que du rap. Que tu le veuilles ou non, ça va t’influencer. J’aimais bien moi par exemple les gens qui me disaient « si tu fais ça, t’auras ça », t’as capté ou pas? Il me ment pas le mec. Faut pas mentir aux gens, tu vas dire: « j’ai braqué des banques, j’ai deux millions d’euros, t’as rien fait du tout ça se trouve. Dis-lui que t’as braqué, et que t’as tourné pendant des mois, et que c’était relou, que ta mère elle venait au parloir, comme ça il va savoir ».
Dans une de ses premières interview, DA Uzi confiait que sa mère et ses proches commençaient à écouter son rap, qu’il le veuille ou non, avec sa popularité croissante. Quand on lui parle de Soprano, qui disait récemment avoir fait évoluer ses textes vers des sujets moins sombres pour cesser d’inquiéter ses proches, DA Uzi n’envisage pas ce genre de préoccupation. Il semble encore loin de ce genre d’introspection, trop heureux des haut-parleurs qu’il capte à large échelle depuis quelques mois: « moi je suis un mec, il ne faut pas me faire des trucs bizarres, sinon je vais le dire directement dans mes textes, t’as vu. Le rap c’est comme une sorte de journal intime, pour moi. Je m’en fous de blesser, les gens ils m’ont blessé combien de fois, ils s’en foutaient, non? Je m’en fous, frère. Maintenant j’ai la plus grande des armes, j’ai la parole. Se faire entendre, c’est une grande arme. »
Alors que « Mexico » contient son lot de titres nerveux aux sonorités trap, le Sevranais les entrecoupe de morceaux plus mélancoliques, comme « Mal aimé » ou « Hier ». Des variations de ton qu’il estime naturelles « la plus grandde des forces c’est d’avouer ses faiblesses. J’ai pas peur, je me sens fort. Moi j’ai cette mentale, de dire la vérité, et rester humble. On est personne, frère. Des fois faut garder un petit jardin secret, mais toujours rester sincère. J’ai la tête trop froide. Des fois, j’ai envie de profiter, mais en vrai je ne suis pas là pour ça. J’ai envie de faire ma vie, j’ai grandi qu’avec ma mère, wallah, y avait pas de daron, on allait à l’école, on n’avait pas de voiture. Moi je veux juste faire ma vie, je suis concentré sur ça. C’est pas des millions de vues, des meufs qui me disent que je suis trop beau alors que y a six mois j’avais la même tête mais j’étais moche, qui vont me faire changer (rire), tu vois ce que je veux dire? Ma tête est vraiment trop froide pour ces trucs-là. Je ne viens vraiment pas de sortir de l’œuf. Je suis sorti de l’œuf y a longtemps, et je suis tombé, carrément ils ont cru que j’étais cassé, et je suis revenu. Donc vous inquiétez pas ». Lucide face au succès comme Ademo face à Eva Mendes, DA Uzi rappe la rue avec talent, aussi vrai qu’il devrait pouvoir s’ouvrir un bel avenir dans cette musique urbaine.