Dans l’ombre avec Aladin 135
17 juillet 2020
Triple Sept
Aladin 135 fait partie de la génération de rappeurs qui ont réveillé la jeunesse parisienne il y a quelques années. Après avoir écumé les rues de la capitale avec son groupe, le Panama Bende, et s’être imposé comme une des figures à suivre de cette nouvelle école, le rappeur a préféré prendre du recul pendant 3 ans sur sa musique.
On a pu aborder l’importance de cette pause dans sa carrière et dans le processus créatif de son premier album “Phantom” qui est disponible depuis vendredi dernier, autour d’une grenadine et d’un coca. Bien entendu je ne vous dirai pas qui a pris quoi pour ne pas déstabiliser sa crédibilité.
Bonjour Aladin, comment tu te présenterais en tant qu’artiste ?
J’suis un mec qui fait de la musique depuis que j’ai 16/17 piges, on a commencer tranquillement entre nous, on faisait du son sans se prendre au sérieux. Au fil du temps, la reconnaissance de certaines personnes du milieu, et les résultats ont fait que c’est devenu un travail à plein temps.
On se retrouve pour la sortie de ton projet “Phantom”. Je voulais savoir niveau sémantique, est ce que c’est ton premier album ? Parce que j’ai des souvenirs d’avoir vu ce terme dans la communication de ton dernier projet “Indigo”.
Pour recontextualiser, j’ai fait beaucoup de petit eps, comme « À Peine Majeur” et “Addiction” qui sont des projets gratuits que tu peux retrouver si tu digges sur Internet. Mais “Indigo”, c’était vraiment pour me présenter à travers une première mixtape, c’est juste qu’en terme de communication, comme c’était mon premier projet un peu sérieux dans les bacs, beaucoup de médias, ou de distributeurs comme la FNAC l’ont étiqueté comme mon premier album.
“Phantom”, je l’ai travaillé avec guilty, pour qu’il s’en dégage une ambiance générale, que ça soit plus poussé dans la direction artistique, donc je le considère vraiment comme mon premier album.
Tu es un rappeur qui fait de la musique depuis très longtemps, personnellement je t’ai découvert en 2013 sur un feat avec Georgio. “Phantom” c’est ton 6ème projet, qu’est ce que tu vois toi quand tu regardes en arrière le chemin que tu a parcouru ?
Il y a beaucoup de positif, beaucoup de prise d’expérience que ce soit avec mon groupe ou en solo. Beaucoup de recul et d’apprentissage aussi. Ce qui est marrant c’est que j’ai autant appris au moment où je rappais, quand je découvrais le monde de la musique et son business, qu’à travers cette pause de 3 ans, qui m’a permis d’aller chercher le recul qu’il me manquait quand j’étais dans le jus et que je sortais beaucoup de musique. Ça m’a permis de faire un point sur ce que j’avais envie de faire, l’image que j’avais envie de véhiculer, d’envoyer. Si je retiens une chose de toutes ces années, c’est vraiment l’apprentissage, l’expérience et aussi beaucoup de plaisir.
C’était vraiment une époque particulière, il y avait plein de rappeurs qui ont émergé en même temps, le rap devenait de plus en plus à la mode, et beaucoup de concepts ont vu le jour, comme Grünt par exemple, donc on a eu accès à beaucoup de visibilité.
On t’a beaucoup vu si on suivait la scène des jeunes parisiens à l’époque, tu a sorti “Indigo” où justement tu développais un peu l’univers d’un être un peu spécial qui rentre pas forcément dans la norme et depuis tu as disparu, c’est pour ça « Phantom » ?
“Indigo”, c’est vraiment le côté spécial que je voulais développé, sans être péjoratif, un peu hors sujet par rapport au reste des artistes, le côté un peu dans sa bulle, rêveur.
“Phantom”, c’est devenu naturel au vu de la pause que j’ai pris, au vu de ce que moi j’ai eu envie d’être en tant qu’artiste et surtout l’envie de laisser parler ma musique, même là en promo je fais beaucoup plus de format écris comme celui là, parce que j’ai pas forcément envie de montrer ma tête, faire des blagues ou faire des formats décalés.
Cette disparition elle était prévue depuis longtemps ?
Non je ne le savais pas vraiment, mais je sentais que j’allais avoir besoin de faire une pause. Qu’elle ait durée 3 ans, ça je pouvais pas m’y attendre. Il y a eu une première année de remise en question, savoir où je voulais aller, et avec qui. Après il y a eu une deuxième année pour mettre en place tout ça, pour pouvoir arriver dans de bonnes conditions, avec un album sérieux et essayer de sortir du schéma de quand je faisais ma musique à Grande ville avec Keyso, où je bossais beaucoup tout seul. Il a fallu une troisième année pour peaufiner tout ça, continuer de travailler, pour bien finir le projet. J’ai un peu craqué l’été dernier parce que j’ai balancé quelques clips. Mais j’ai vraiment voulu m’écouter et laisser les choses se passer naturellement durant ces 3 années.
C’est important pour toi d’être là sans donner trop de ta personne ?
J’accorde énormément d’importance à ma vie privée et mon jardin secret. J’aime bien pouvoir donner de ma personne avec mes proches, mais sur Internet c’est vraiment de la musique que j’ai envie de partager. Quand j’ai fait de la musique c’était vraiment pour le plaisir, donc si on me demande d’aller faire une interview que j’ai pas envie de faire, je suis pas stimulé à l’idée de le faire.
Mais quand la musique devient ton travail, il y a forcément des moments où tu es obligé de faire des choses désagréables pour permettre à ta musique de s’exporter
Ouais, je sais, c’est une discussion que j’ai avec beaucoup de gens avec qui je travaille, ou que je côtoie. On fait de la musique, ça c’est une chose, le contexte dans lequel on est, en est une autre. Aujourd’hui on est dans un contexte, où 80% des artistes en développement, les médias les réseaux, les interviews, ça les aide à toucher un nouveau public. Il y a en aussi, mais très peu qui ont décidé de ne rien faire comme PNL et ça leur sert beaucoup. Mais il y a pas forcément d’entre deux, la surmédiatisation c’est devenu le tremplin essentiel aux artistes en développement, et moi c’est pas quelque chose qui me parle vraiment.
Je veux pas du tout faire comme PNL, parce que je pense sincèrement que de leurs part c’est un choix stratégique, et marketing qui leur réussit super bien, mais moi c’est plus dans l’humain, où je suis pas forcément à l’aise avec tout ça.
Après, c’est aussi parce qu’aujourd’hui l’industrie du rap s’est développée et que tous ses acteurs, comme les maisons de disques et les médias sont connectés entre eux pour travailler ensemble et avancer
Carrément, mais à la base, quand j’ai commencé à écouter et kiffer le rap, on était dans un délire où il y avait une éthique très forte, quand tu es rappeur, tu vas pas faire certaines choses que tu peux faire si tu es chanteur de pop.
Mais aujourd’hui dans les interviews, tout le monde fait des blagues, tu sais plus vraiment si c’est pour la musique qu’ils sont là ou pour l’entertainment. Avant le rap était porteur de beaucoup de message anti capitalisme, anti mondialisation. Le positionnement des artistes étaient beaucoup plus en marge du reste de ce qu’on peut voir médiatiquement, quand tu fais 50 interviews pour ton projet, t’es juste un capitaliste qui bombarde de publicité ton public parce que tu veux vendre ton produit.
Je comprends complètement, après c’est quand même dur d’opposer le rap et le capitalisme. On a quand même plus de texte d’artistes qui veulent s’enrichir à outrance que de réflexion sur les différents modes de consommation
C’est plus le domaine de la publicité et la surconsommation que je pointe du doigt là. Consommer la musique, comme la nourriture, le sexe où tout ce qu’on nous vends dont on a pas besoin. J’ai l’impression d’être un pantin quand je fais 50 interviews vidéos, où quand on me demande de juger d’autres rappeurs … Peut-être que je vais le faire, parce qu’il y a de la visibilité, mais en vrai qui suis-je pour juger le travail d’une personne que je connais pas et inversement ?
« Je me fais discret, c’est vrai que je me sens mieux sans vous »
Est ce que le succès que tu recherchais t’as pas un peu effrayé ? J’ai le sentiment que t’as pas forcément eu les retours que t’attendais sur “Indigo”, est ce que c’est ça aussi qui t’a fait prendre du recul ?
Quand je sors d’Indigo, je sors de 3 ans de tournée, je suis passé d’un mec qui était au lycée et qui commence à avoir du buzz à énormément d’attention et de responsabilité autour de moi. À ce moment là, je suis fatigué du rap, je me rappelle que je suis allé deux trois fois en studio sans prendre le moindre plaisir, je me rends compte que j’ai pas envie d’être là, que je fais de la musique pour répondre à une demande, donc je me suis dit que j’étais en train de perdre quelque chose.
Alors certes je vais pouvoir envoyer parce que je suis aux portes d’un potentiel succès, je suis sur un contrat d’édition et un deal avec une putain d’avance, j’ai mon label. Donc financièrement je suis pas non plus contraint, mais je vais pas pouvoir donner de la bonne musique parce que je commence à m’essouffler. Gérer les relations personnelles et professionnelles ça commence à être compliqué. Donc je décide de partir au bled pour prendre du recul, sur le buzz, la course aux likes. Tout le monde autour de moi, que ce soit mes proches ou les gens avec qui je travaille, attendaient que je passe un cap, et bah non. J’ai décidé de tout arrêter pour revenir à l’essentiel.
Moi quand je suis arrivé dans le rap j’étais un enfant, c’est Nekfeu et Alpha Wann qui m’ont donné de la force, grand respect à eux c’est mes grands frères. Mais il fallait que je fasse une pause pour grandir en tant qu’Homme, que j’avance dans ma vie.
2017 ça représente aussi la date du dernier projet du Panama Bende, ton groupe. Vous avez tous plus ou moins disparu, PLK est devenu un acteur majeur de la scène rap fr, zeu est descendu dans le sud côtoyé l’underground, Elyo et Asf font de la musique ensemble, et on a pu assister au retour de Lesram il y a quelques semaines. C’était une volonté générale de partir tous en solo ou plutôt d’arrêter d’avoir un cadre de groupe pour faire de la musique ?
Toute la pression dont je te parle depuis tout à l’heure, le groupe en faisait partie. Au moment de la sortie de “ADN”, j’attends de mon côté pour enchainer sur “Indigo” après, c’était un moment vraiment particulier où je refusais beaucoup de signature. PLK a bossé lui aussi de son côté et on voit où ça l’a mené, et je vais te dire, j’ai refusé des propositions de là où lui a signé.
Il y a des personnes qui peuvent penser que j’ai fait un mauvais choix, mais moi à ce moment là je sais que je suis aux portes de quelque chose et j’ai juste pas envie de changer ma configuration, j’ai envie de rester seul et libre avec mon label.
Toi qui était un peu la figure la plus exposée du groupe, comment tu l’a vécu cette aventure ?
C’était pesant au bout d’un moment, j’avais besoin de retrouver cette place d’outsider. Tu vois quand je suis arrivé dans le rap j’étais un jeune, je suis arrivé juste pour faire du sale. C’est la même chose aujourd’hui. Quand on m’attends moins, c’est là où je retrouve un nouveau challenge. J’aime voir les vestes se retourner.
On a pu tous vous revoir ensemble à l’occasion du clip du morceau “All Day” avec PLK, qui a relancé la promotion de la sortie de ton album.
PLK aujourd’hui il est arrivé à une stabilité où il a un public très large, il m’a donné un bon coup de visibilité pour la sortie du projet, après artistiquement on est dans des univers assez différents, et tu remarqueras que le son qu’on a fait ensemble, c’est un banger avec la pâte de PLK. J’adore ce son, on s’est régalé à le faire, mais c’est pas celui qui représente le plus l’album. C’était vraiment pour taper fort sur la table et montrer qu’on était de retour.
Et aujourd’hui, on peut espérer un retour avec vos formes finales, ou au contraire, vous vous êtes peut être trop éloigné musicalement ?
Dans le groupe on est 7, chacun à un univers différent. Tout le monde a son identité, son caractère. Aujourd’hui on veut juste prendre le temps, chacun de notre côté pour développer un maximum notre art, humainement rien n’a changé. Si on doit refaire un projet de groupe, moi je suis là, je suis prêt. J’ai des couplets, j’ai de l’inspi, j’ai du temps et de l’énergie.
Mais il n’y a que le temps qui répondra vraiment à cette question. Moi là je dois me relancer en solo, retrouver ma place mais il va arriver un moment, et ils le savent, où je vais aller voir tout le monde et leurs dire “alors c’est comment ? On fait, on fait pas ? Parce que moi je suis chaud de faire”. Parce que rien que pour l’histoire moi j’aimerais en refaire un ou deux. La force de nos relations humaines peut facilement casser comment on s’est éloigné dans la musique, je le pense sincèrement.
Dans ta transformation musicale, il y a l’arrivée de Guilty à la réalisation du projet. Comment s’est passée la connexion ?
Guilty a cette force de s’adapter à chaque artiste avec qui il travaille. Le travail qu’il fait sur un album avec Sch n’a rien à voir avec le travail qu’il fait avec quelqu’un comme moi. Nous on était vraiment dans une réflexion d’atmosphère, de cohérence générale, moins dans le storytelling. Je voulais quelqu’un pour me conseiller sur mes choix de prods, sur les morceaux, les vibes etc … Après au delà de la forme générale du projet, je pense qu’il m’a surtout aidé dans la réalisation des morceaux et à éclaircir les idées que j’avais envie de mettre en place.
C’est toi qui est allé le chercher ou on vous a connecté ?
C’est moi, il y a plus de deux ans. On a vraiment construit le projet étape par étape, j’ai établis une vraie relation avec lui, on s’entend super bien et ça se ressent dans le travail. Il m’a dit “si tu veux bosser avec moi, viens à Toulouse”, il fallait pas me le dire deux fois je suis direct descendu le voir.
Et qu’est-ce qu’il t’a apporté en dehors de la réalisation des morceaux ?
Il m’a aidé à prendre énormément de recul sur moi et ma musique, à savoir canaliser mes forces, savoir me poser les bonnes questions comme ce que j’ai envie d’être, de représenter, où est-ce que je veux me positionner dans le rap, et avec quelles affiliations.
Justement, avec quoi t’a voulu revenir ? C’est quoi les changements que tu as effectué dans ta musique après ces 3 ans de travail ?
Franchement, je voulais vraiment créer un album que tu peux écouter avec ta grand-mère, ta meuf ou tes potes. Avant j’étais dans une certaine folie, aujourd’hui je sais beaucoup mieux structurer mes morceaux, j’ai beaucoup plus de possibilités sur mes refrains. Avant je faisais de la musique sans réfléchir. Mais je reste encore très ouvert, en terme d’instru par exemple, dès que ça me fait planer et que je ressens un frisson de mélancolie, c’est qu’elle fait partie de mon univers.
Tu nous a toujours habitué à partir très rapidement dans les aigus, ce qui pouvait brusquer certaines personnes. Je trouve qu’il y a un travail de justesse dans cette album qui est très bien réalisé.
C’est plus agréable je comprends, pas comme avant quand je criais, mais on retrouve encore ça par exemple dans le morceau avec Laylow
Justement il y a quelqu’un qui fait ca super bien aussi c’est lui, ça fait longtemps que vous êtes connecté tous les deux non ?
J’ai beaucoup de respect pour lui, j’adore ce qu’il fait. Sans prétention ça fait longtemps que je me doute que les gens vont comprendre son univers, ça me fait super plaisir quand je vois la motivation de sa fanbase. Sur le projet il n’y a que des personnes avec qui j’ai de très bonnes relations humaines. Le morceau qu’on a fait j’ai pas l’impression d’entendre souvent ces flow et ces sonorités ici. Même si on est assez différent, dans le sens où il est encore plus particulier que moi dans la forme, le style et l’image, on est deux personnes qui aiment faire des choses particulières. Ce morceau c’est juste des potes qui se sont fait plaisir en studio.
Au contraire de Laylow qui est du Sud et maintenant à Paris, toi t’es un parisien qui est beaucoup dans le Sud non?
Les gens ont l’impression que je suis tout le temps dans le Sud, mais je suis toujours à Paris en vrai. J’étais beaucoup à Toulouse pour aller bosser avec Guilty, mais c’est vrai que de part ma vie privée je suis quelqu’un qui est très attaché au Sud de la France. J’adore cette vie, cette atmosphère, ça me donne de l’inspiration. Je suis un arabe moi, je suis quelqu’un du soleil.
Il y a aussi la création de ton label “Aladhyde” aussi qui est une étape importante de ta carrière, on sent une réelle volonté de contrôler ta musique de A à Z
J’ai vraiment pas envie qu’on puisse contrôler le peu de chose qu’il me reste, ça me tenait à coeur, il n’y a que Guilty que je laisse me conseiller dans l’artistique. Je suis loin des résultat d’une grosse maison de disque, c’est une entreprise familiale mais aujourd’hui c’est la configuration qui me convient le mieux.
Et tu fais du développement d’artistes aussi, il y a eu Roms si je me trompe pas, on peut le retrouver dans “Phantom” d’ailleurs, vous en êtes où avec ce projet ?
Roms j’ai produit son premier CD, je l’ai conseillé sur les premières étapes du métier d’artiste, sur tous les choix à faire, pour essayer de lui donner un peu de recul sur ce milieu et qu’il puisse savoir quoi faire. Aujourd’hui la production c’est énormément de travail, du coup on l’a léguée à quelqu’un d’autre pour que ce soit bien fait, je m’occupe toujours de son management pour le conseiller dans ses décisions. C’est quelque chose que le label est amené à faire à l’avenir si on a un coup de coeur pour un artiste. Après “Indigo”, je me suis beaucoup concentré là dedans, pour découvrir une nouvelle manière de voir les choses. Aujourd’hui le développement de Roms me tient à coeur parce qu’il est comme un frère, et c’est pour ça que j’ai voulu que quelqu’un d’autre s’occupe de sa production, pour pouvoir me concentrer sur ma carrière d’artiste dans un premier temps.
Et maintenant qu’est ce qui se passe ?
Je pense que dans les 4 prochaines années, je vais sortir au moins 300 sons. Voilà c’est tout. Je vais tout envoyer jusqu’à mes 30 piges, vous allez en avoir marre de moi, c’est fini la récréation.