Loud est le meilleur rappeur québécois, dites le fort (get it ?)
14 juin 2018
Thomas Haulotte
Déjà on vous challenge dès le titre de l’article sur vos skills en anglais – parce qu’on est comme ça – et parce que les jeux de mots entre l’anglais et le français sont l’essence même de l’originalité du rap au Québec. On a profité du passage de Loud à Bruxelles pour discuter de sa jeune carrière; à une époque où le public francophone (de ce côté-ci de l’Atlantique) semble enfin prêt à dépasser cette f*cking barrière de l’accent.
Salut Loud. Bienvenue en Belgique. Ça fait 2 fois qu’on te croise en moins d’un mois, tu commences à nous apprécier ?
Salut ! Je commence seulement… Plus sérieusement, c’est un plaisir d’être ici. Je n’ai pas trop eu le temps de visiter, mais on est toujours bien accueilli.
Ce qui ressort le plus de tes textes, c’est une grosse ambition, voir même de l’arrogance (calculée). L’objectif, c’est la réussite. D’où ça te vient cette envie de prouver qui tu es ?
Je sais pas d’où ça me vient, peut-être que je devrais faire un peu de thérapie pour comprendre la source ! J’ai toujours été compétitif. C’est dans les codes du rap de parler de son ambition et c’est peut-être en partie pour ça que les gens s’identifient aux rappeurs, parce qu’ils verbalisent les rêves de pas mal de monde. En écoutant Jay-Z, par exemple, on peut se transposer facilement. J’ai aussi toujours eu la volonté de faire de la musique sérieusement, dans le but de réussir.
A la base, tu as commencé le rap pour arriver à cette réussite ou bien tu l’as fais par passion ? Tu fais ça pour le rap ou pour la réussite ?
Le rap d’abord. Faire quelque chose de qualité. Mais le but a toujours été d’en faire mon métier.
Tu ne parles pas énormément de ta vie dans tes morceaux, au fond on ne te connais pas vraiment. C’est quoi ton histoire?
C’est quand même volontaire que je n’en parle pas trop profondément, pour tenir un niveau de distance et de mystère. Même si parfois c’est bon de s’ouvrir et de se rendre vulnérable… Ça l’est déjà plus que ce que c’était avant, j’imagine que c’est graduel.
(Il restera donc mystérieux sur son histoire, ndla)
Tu es en train de faire ton trou en Europe, et c’est très rare pour un québécois. Qu’est ce que ça fait d’être celui qui y arrive ?
C’est jamais arrivé dans le rap, dans la chanson française quelques fois. Ça a toujours été l’ambition cachée des rappeurs de chez nous, comme la prochaine étape. C’est gratifiant, c’est sûr, et motivant. Mais c’est qu’un début.
56K est le tournant de ta carrière. Tu t’y attendais ?
Pas vraiment. Ça n’aurait pas pu mieux se passer parce que c’était ma toute première chanson en solo. L’album a bien suivi après. Mais il y avait quand même une intention, il est question de ça dans le clip qui a été réalisé dans un aéroport. C’est un petit symbole pour dire qu’on s’en vient. Il y a quelques références dans la chanson aussi: la punchline avec Shurik’n (« Il pense tous que j’suis ricain quand j’leur parle » d’Où je vis), Air France (« On va prendre notre équipage réduit sur Air France ») etc. C’était adressé à ça et ça aurait été un peu triste si ça n’avait pas fonctionné.
Ta vie a changé depuis ?
Au début pas vraiment, mais depuis quelques mois complètement. On a enchaîné les dates, à chaque fois dans des nouvelles villes, et les gens connaissent les paroles par cœur etc. Puis on va rentrer au Québec faire la saison des festivals (il sera aussi présent à Dour). On est toujours sur la route.
Comment est perçu ce succès au Québec ?
Il y a comme une fierté du public. Et ce public est responsable de ce succès ici, car ça a marché localement d’abord. Après peut-être qu’il y en a qui trouvent que ce n’est pas justifié, ‘trop vite trop gros’, je sais pas. Les médias se sont aussi intéressés à moi, ils aiment beaucoup cette histoire de ‘retour triomphant au Québec après la France’. Le fait que je sois allé en Europe m’a ouvert des portes chez moi.
En Belgique, des médias comme Check peuvent exister car le rap s’est démocratisé, tout le monde en écoute. Qu’est-ce qu’il en est chez toi ?
Depuis 3 ans ça commence vraiment, chaque année un peu plus. C’est vraiment la tendance. J’ai même une chanson qui est entrée en radio commerciale, ce qui est super rare. Il y a toujours un certain retard avec les US et la France au niveau des structures, mais ça vient petit à petit.
Tu as une cote incroyable dans les médias français, même généraliste. Et c’est vrai que tu es un peu le « rappeur parfait », tu as un rap accessible et socialement acceptable, une belle gueule, tu t’exprimes bien… Est-ce que tu en as conscience ?
C’est pas une stratégie, et j’essaye de ne pas en jouer, mais oui je suis quand même conscient que je peux rentrer dans un moule comme les Nekfeu, Orelsan, Roméo etc… Et je peux comprendre pourquoi c’est confortable pour eux de m’inviter et de me présenter comme le représentant du rap québécois.
Ici on a 3 langues officielles: le néerlandais, le français et l’allemand. Pourtant on est assez mauvais en langues. Imaginer un mélange des 3, c’est improbable. Toi tu le fais, c’est quoi le franglais ?
C’est un mélange de français et d’anglais, forcément. Au début les rappeurs de chez nous prenaient l’accent français, les flows d’IAM, Solaar. Ils ne chantaient pas comme ils parlaient. L’album marquant a été 514-50 de Sans Pression. C’est l’album légendaire du Québec, ça a été un choc, la première fois que des gens ont assumés l’accent sans complexe, avec beaucoup d’anglais. Le franglais a toujours été un truc à Montréal, tout l’ouest de la ville est anglophone et le reste bilingue. Puis on a tous grandi avec un mélange de culture américaine et européenne, donc c’est vraiment naturel.
Tu suis un peu le rap d’ici ?
Un peu. J’adore Damso, Caballero & JeanJass, Roméo Elvis. Je connais pas tellement de choses mais j’apprécie.
Qu’est ce qui tourne dans tes écouteurs ?
Ça dépend. Dans ma période de création j’ai quelques albums qui sont mes classiques. Je ne veux pas m’influencer de trop de choses différentes. « Blueprint » de Jay-Z, « Dark Fantasy » de Kanye West, « Good Kid Maad City » de Kendrick Lamar, « Nothing Was The Same » de Drake, c’est des albums parfait dans leur carrière et dans le timing. En France j’apprécie beaucoup Josman, c’est mon coup de coeur. Sopico aussi. Mais j’écoute plus de rap US.
Au Québec, on écoute plus de rap francophone ou US ?
US, à 100%. Depuis quelques temps il y a eu quelques artistes français très écoutés comme Niska, MHD, Damso. Booba ça a toujours été gros aussi. A la base Montréal est beaucoup tourné vers New-York, l’East Coast à laquelle on s’identifie beaucoup. Mais maintenant avec le rap moderne les gens s’ouvrent beaucoup.
C’est qui le futur grand là-bas ?
Y’a un petit gars de 19 ans qui rap en anglais, Zach Zoya, il est très chaud. Sinon Eman x Vlooper qui sont deux membres d’Alaclair Ensemble. Ils sont très fort aussi.
Pour terminer, ta meilleure punchline ?
C’est difficile d’en isoler une. Mon rap est orienté punchline, j’aime ça, le fait qu’on puisse les citer etc. C’est ça qui m’intéresse. Peut-être celles de Shurik’n, pour son impact.
En bonus, la question du rédac’ chef: Tu n’en as pas marre que les Français et les Belges imitent l’accent québécois ?
Ça dépend si c’est bien fait ! (rires). Le professionnel c’est Caballero, il est impressionnant. C’est un énorme fan du Roi Heenok, il l’a vraiment étudié je crois. Mais les gens qu’on croise après un show, qui entendent notre accent et essayent de l’imiter, c’est le pire…
(Crédits photos: cover de Joy Ride Records, article de Renaud Héritier