Ärsenik: les crocos ont toujours la dalle
8 mai 2019
Triple Sept
En novembre 1998, le duo mythique Ärsenik sort l’album classique « Quelques gouttes suffisent ». (Un peu plus de) 20 ans plus tard, ils reviennent sur cette épopée musicale qui va marquer le rap français. Pour célébrer cet anniversaire, ils seront à l’Olympia le 11 mai 2019.
On retrouve Lino et Calbo dans une salle de répétitions d’un studio parisien. L’occasion parfaite pour essayer de leurs soutirer des informations sur leur concert à l’Olympia à venir et le potentiel 3e album du groupe. Manque de bol, ils sont moins bavards qu’au micro de Mehdi Maïzi, ces informations étant apparemment classées secret défense, on en a quand même profité pour parler des différences majeures entre les années 2000, et l’époque que traverse actuellement le rap français.
Vous allez fêter les 20 ans de votre album “Quelques gouttes suffisent” à l’Olympia, est-ce que vous pouvez m’en dire un peu plus sur cette soirée ?
Lino: Bah c’est l’anniversaire des 20ans… Qui dit anniversaire dit surprises et cadeaux. Donc je ne peux rien te donner en information sur ce qui va se passer.
Ok ça commence bien ! C’est un souhait de votre part ce concert, ou on est venu vous le proposer ?
Lino: Ça nous a été conseillé, au début on était pas chaud, parce que c’était un moment où on avait fait énormément de trucs qui étaient liés à la célébration des 20, 60 et 70 ans… Mais c’est vrai que pour cet album là, qui est notre premier succès, je pense que c’était important de le faire.
Est-ce que c’est important justement pour vous de réunir ceux qui vous écoutaient à l’époque et ceux qui vous ont découvert comme classique du rap français ?
L: Je pense que y’aura une majorité de gens qui ont vécu cette album et les années 2000, je pense pas que y’aura beaucoup de nouveau venus.
C: C’est une date d’anniversaire quand même…
C’est un projet que vous avez très peu défendu sur scène ?
L: Y’a pas eu de tournée au sens propre du terme ouais, on a juste fait quelques scènes à droite à gauche.
C: Là, l’Olympia c’est l’occasion de faire tous les morceaux, même certains qu’on a jamais fait sur scène.
Ici le but c’est de relancer la machine de votre groupe ou juste de célébrer ? Vous avez plus ou moins annoncé la sortie d’un 3ème album récemment en interview
L: (Rire) Nan je pense pas qu’il y ait une dynamique à relancer, si on fait un nouvel album, et c’est le cas, le concert n’a rien à voir avec. C’est vraiment pour célébrer les 20 ans, on a pas énormément communiqué sur ce disque, il a fait sa vie tout seul et on l’a très peu promotionné, c’était l’occasion parfaite de lui offrir ce qu’il méritait.
Et pour ce qui est du 3e album, on en est où ?
L: Y’a un 3e album, en 2019.
L’actualité s’est récemment tournée autour d’un album “Deux Frères”, qui a rencontré un grand succès et qui va certainement marqué une génération d’artistes et d’auditeurs, comme l’a pu faire “Quelques Gouttes Suffisent”, qu’est ce que ça apporte de travailler en famille dans le rap français ? Est-ce que vous avez écouté l’album et vous vous êtes senti concerné par cette déclaration d’amour fraternel ?
L: Oui j’ai écouté l’album de PNL, je vois ce que tu veux tu dire, on a déjà fait une interview qui parlait des frères dans la musique et je pense que c’est pas une notion qui est réelle pour les frères. Ça l’est pour vous, qui êtes à l’extérieur, mais pour deux frères c’est naturel de faire des choses ensemble. Y’a pas de calcul, si tu connais un mec depuis ta naissance tu te prends pas la tête à te demander si vous voulez faire un truc ensemble. C’est pas comme un groupe de potes, des frères c’est plus naturel.
Après y’a des personnes, et justement beaucoup dans le rap, qui ont un rapport super pudique avec leur famille…
L: Ouais ça peut exister, après nous on est en mode famille nombreuse. C’est des questions qui ne se sont jamais posées.
Est-ce que vous pensez que ça vous a apporté et que ça été un plus dans la défense de vos projets, ce lien familial ?
L: Nan, ça apporte rien, ça apporte juste que je vais pas lui crever les yeux si il me met une carotte (Rires). On va pas s’allumer. Entre frère, si on arrive dans des situations plus troubles, on aura tendance à les régler plus facilement que des mecs qui sont juste potes.
C: On fait plus facilement des concessions…
L: On a fait une interview avec un mec qui nous disait “ouais vous êtes frères, comment vous faites de la musique ensemble ?” mais nous on s’est jamais posé cette question, on s’en branle en fait. Y’a des frères qui ne s’entendent pas. Nous, déjà on est pas des générations super éloignées, et comme on disait on trainait ensemble. On avait le même entourage et les mêmes potes, donc forcément c’était plus facile.
Une des principales différences entre votre génération et la nôtre, c’est l’argent qui est mis dans le rap, et le soutien des marques pour viser un public cible qui s’y intéresse aujourd’hui…
L: Tu dors ?
C: Nan nan
L: Ah désolé, reprends ta question, je croyais qu’il dormait (Rires)
Je voulais revenir sur Lacoste, vous avez été parmis les premiers ambassadeurs de cette marque dans la rue, on peut le voir sur la cover, j’ai entendu récemment que vous changiez de complet 3 à 4 fois par jour et ils vous ont pas forcément remercié pour tout ça…
L: Nan mais la vraie question, c’est pourquoi ils nous remercieraient ? Honnêtement, sans déconner, moi j’ai connu le Hip Hop dans les années 80, je regardait les breakeurs et les rappeurs, ils étaient habillés en Nike et Adidas, les marques sponsorisaient personne. Oui Run DMC ils sont arrivé avec la superstar et c’était sponsorisé mais c’était les seuls.
C: Lacoste c’était une marque de bourgeois.
Ouais mais justement, ils ont longtemps fermé les yeux sur leurs position dans la rue.
L: C’est venu après.
C: C’est une bifurcation.
L: Le fait que tous les mecs de banlieue commencent à porter du Lacoste, ils étaient pas d’accord avec ça. Ils étaient dégoûtés, mais comme ils veulent faire de l’oseille ils pouvaient pas faire grand chose. Ils l’ont dit à des gars de chez nous “on est conscient que ça nous fait vendre, mais nous on préfère mettre en avant des tennismen et des sportifs”.
Maintenant Lacoste, c’est un peu moins bourgeois qu’à l’époque donc forcément ça permet des partenariats. Et même plus généralement, y’a énormément d’artistes qui bossent avec des marques aujourd’hui, c’était pas le cas avant, regarde Alonzo avec Puma par exemple. C’est un truc qui est très récent, parce que le rap a une autre image.
C: Les équipes ont dû changer.
L: Quand t’es précurseur t’as toujours tort, c’est celui qui vient après qui a raison…
C: Nous, on allait pas avec l’image marketing de la marque, contrairement à des marques comme Schott par exemple qui s’est créée un image autour de la rébellion, la banlieue c’était parfait pour ça. Lacoste c’est le contraire.
Quel rapport vous entretenez avec la nouvelle génération, Lino il y a quelques années on t’a beaucoup apperçu dans des clips comme Nekfeu & Georgio, ou encore avec Vald dans Suicide Commercial. Comment vous regardez ce qui se fait actuellement ?
L: Y’a pas à le vivre ou le voir, il faut le ressentir, l’écouter, c’est de la musique. Il se trouve que la seule différence entre nous et cette génération c’est que nous on est né avant. La musique c’est pas censé avoir d’âge.
Mais la musique et le rap particulièrement, elle a évoluée entre temps
L: Bah forcément. Même nous quand on a commencé c’était pas la même musique.
Le rap est devenu quelque chose très porté sur l’entertainment avec une attention portée beaucoup plus sur la forme que le fond…
L: Parce que le rap est à l’image de la société, la société a changée donc forcément le rap aussi. Le rap ressemble à la société d’aujourd’hui. Quand tu vas dans les quartiers aujourd’hui, un truc simple, nous on a grandit avec une haine des dealers de drogues. C’était les ennemis, quand on était ados, les grands du quartier ils les chassaient pour les tabasser. Alors que maintenant, la vente est glorifiée dans tous les textes.
Aujourd’hui on est dans l’ultra-libéralisme, les trucs à la Macron, ça impacte les quartiers. Le rap est tellement branché à la prise de la réalité qu’il ressemble forcément à son époque. On est de plus en plus individualiste, regarde il n’y a presque plus de groupe, que des artistes en solo. On est encore plus centré sur l’oseille, l’image qu’on renvoie. C’est ce qu’on disait tout à l’heure, c’est pour ça que des artistes deviennent des égéries de Lacoste, Nike, Puma maintenant, tout change. Le Hip hop change.
Y’a cette vision du rappeur entrepreneur qui a émergé, l’artiste qui avec les réseaux sociaux se vend lui même, gère sa promo et son équipe.
C: C’est Internet aussi qui permet ça, nous on avait pas tout ça.
Le rap dans votre vision, il s’est travesti pour toucher un public beaucoup plus large ou c’est la suite logique de votre époque ?
L: C’est pas une question de se travestir, tu te travestis quand tu as conscience de la chose, y’a des artistes qui sont conscients et d’autres qui ne le sont pas. Je pense que y’a beaucoup d’artistes, qui le font parce que c’est ce qu’ils voient et tout ce qu’ils connaissent.
Mais ils sont beaucoup à avoir conscience, et revendiquer qu’ils font ça dans un premier temps pour l’argent et pas forcément pour l’art de manière générale ?
L: Quel argent ? Ils savent même pas. Comment il peut savoir le mec ? Eux tout ce qu’ils veulent c’est des disques d’or, c’est même pas de l’argent. Quand tu veux faire de l’argent tu fais pas ça frère, quand tu veux faire de l’argent tu fais pas de la musique qui dit “ouais je deal je vends de la drogue blabla”. Y’a une volonté d’être écouté, oui mais l’argent y’en a pas, ou alors c’est au niveau d’un vendeur de barrettes de coin de rue. Si t’as l’ambition de faire de l’argent, tu fais pas ce genre de musique, parce que c’est super sectaire.
C: Premier clip y’a des petits qui disent déjà “j’fais de l’oseille” (Rires)
L: Si tu veux faire de l’argent, fait pas un truc sectaire, mais un truc qui peut plaire à un grand nombre, fait du Maitre Gims.
Un des principaux changements de l’industrie de ces dernières années, c’est l’arrivée du streaming. Vous l’aviez vu venir la dématérialisation de la musique ?
L: Moi j’ai rien vu venir, j’étais aveugle (Rires) Même maintenant, je vois rien
C: Nous, on fait tout sans calcul, donc les prévisions, les prédictions machins … On fait de la musique, c’est normal que l’industrie change en même temps que les gens qui sont derrière les manettes.
Et les plateformes de streaming ?
L: Ah nan, on a rien vu venir. Le streaming c’était un truc, je pense, pour palier à la faible rémunération des artistes, à la finalité, je pense pas que les artistes touchent la totalité de ce qu’ils devraient. Moi personnellement, le streaming ne me satisfait pas. Ça a un peu sauvé le délire du piratage, mais moi ce qui me gène c’est que il y a énormément de personnes écoutent ta musique et qui en ont rien à foutre, y’a beaucoup de passants qui la survolent. Y’a des mecs qui écoutent mais qui entendent pas. Mais même le piratage, pour moi c’est une supercherie, ils auraient pu palier à ça. Je pense qu’ils auraient pu bloquer les sites pirates à l’époque mais ça devait pas les intéresser.
Pour finir cette interview, est-ce que vous avez des petits amuse gueule qui pourrait donner envie aux personnes qui ont pas encore pris leurs places pour le concert du 11 Mai ?
L: Nan, on dira rien, mais il y aura énormément de surprises. S’ils veulent venir, ils viennent voir nos gueules d’enculés (Rires)
Bon on aurra essayé au moins, rassurez-nous, y aura beaucoup d’invités, j’imagine ?
L: Je pense, c’est un anniversaire.
Check souhaite un bon anniversaire à Ärsenik, le 11 mai 2019 à l’Olympia.