Jo le Pheno, l’enfant du 20ème.
19 juin 2020
Triple Sept
Originaire de la Banane, dans le 20ème arrondissement de Paris, Jo le Phéno a mis 10 ans de sa vie à rassembler les souvenirs de son enfance pour sortir son premier album “60 Boulevard Ménilmontant”. Après une plainte déposée il y a quelques années par le ministre de l’intérieur de l’époque lors de la sortie de son clip “Bavure”, le rappeur récidive cette année dans un climat mondial particulier en sortant le 3ème volet de la série de freestyle du même nom.
Pour l’instant je suis content, parce que la plupart des personnes qui ont écouté le projet, ça leurs a plu, et ils sont fier. Ça me touche de rendre fier des gens par ma passion, c’est valorisant. Aujourd’hui je travaille avec une équipe et je me rends compte qu’il y a beaucoup de choses que j’aurai eu plus de mal à faire quand j’étais tout seul. Ça me donne envie de travailler encore plus, parce que je suis pas tout seul et satisfaire tout le monde.
Est ce que tu peux me décrire la cover de ton projet ?
C’est moi au quartier, les lumières, le cadre etc.. signifient qu’il y a une équipe derrière moi maintenant, qu’on travaille mon image mais que le quartier est toujours là, derrière.
Qu’est-ce qu’on trouve au 60 boulevard Ménilmontant ?
C’est mon premier domicile, c’est là ou je suis né, là où j’ai grandi, où je me suis formé. C’est de là que tout part. C’était un bâtiment où la vie était compliquée, tout était cassé, c’était la guerre, mais quand tu es jeune tu fais pas forcément attention à tout ça parce que tu n’as pas forcément d’autres références. C’est quand tu commences à aller chez des amis et que tu vois qu’ils vivent dans des conditions qui ne sont pas les mêmes que toi, qu’ils ont de l’argent de poche ou les dernières Nike, que tu commences à comprendre que c’est pas pareil pour tout le monde. Je suis fier de pas avoir tout eu dans ma jeunesse, parce qu’aujourd’hui je suis fier de ce que je suis devenu, de mes principes. Je sais d’où je viens.
“Ma part” c’est le premier extrait de ton album que tu as partagé, pourquoi ?
Dans le projet il y a des morceaux qui s’éloignent de ce que j’ai pu faire avant, et “Ma part” au contraire c’était celui qui s’inscrivait le plus dans ce que les gens attendent de moi.
Tu as enchainé avec “L’hollandais”, qui a beaucoup fait parler de lui, c’est ton idée qui est derrière le clip ?
L’hollandais de base, j’ai écris le son il y a des années, et j’avais que le refrain. Partout où je le faisait les gens kiffaient, ça les marquait. Donc j’ai pris le temps pour écrire le morceau, et derrière le clip je voulais vraiment pousser un concept au maximum, pour venir appuyer le morceau.
Comme tu as pu le dire avant, le projet est super diversifié, c’était important pour toi d’élargir la palette des sonorités que tu peux proposer à ton public ?
Dans la musique, quand je prends une intru c’est un devoir d’en faire un bon morceau. Je me lance des défis des fois, tant que l’instru est bonne et que je la kiffe, c’est un pari à relever. “Tiens ta Madame”, par exemple, c’est un son afro, je sais que ça va étonner des gens, mais ça fait longtemps que j’avais envie de faire de la musique en général, et pas que du rap.
Parmis les différents morceaux de cet album, quel est celui qui a été le plus dur à faire ?
Je dirai “La Street”. Tout a glissé super facilement, sauf ce morceau. Je voulais vraiment faire un rappel au morceau “La Rue” que j’ai fait en 2015, donc je me suis creusé la tête, c’est celui qui a pris le plus de temps.
Et celui qui te parle le plus aujourd’hui ?
Avec du recul, c’est quand j’écoute le morceau “60 bd Ménilmontant” qu’il se passe un truc particulier. Je n’aurai pas pu le faire avant, je pense que j’ai gagné en maturité, et que j’ai eu les couilles de parler de ma vie et mes difficultés. Après je vais pas le faire tout le temps, si je devais en parler je le referais, si ça se trouve dans 5 ans j’aurai un autre regard sur ma jeunesse.
T’arrives seul à une époque ou les feats font partie des stratégies nécessaires des artistes en développement, c’est volontaire ?
J’avais beaucoup de morceaux de côté, je me suis dit qu’il y allait avoir des collaborations dans le futur, mais je trouvais que c’était pas vraiment le bon moment. C’est pour ça aussi que j’essaye de varier de thème et que je n’ai pas fait que du rap boom bap, j’ai fait des featurings avec moi même.
On va revenir dans ton enfance, pour commencer, comment tu es tombé dans le rap ?
Moi de base, j’ai écouté de la musique assez jeune, même du rap, parce que j’ai un grand frère. Dans ma famille ça écoute beaucoup de musique, tu sais, nous on est des Congolais, on a surement ça dans le sang. Le premier cd que j’ai eu de rap français c’était la bande originale du film « Yamakasi », parce que mon daron nous avait offert le coffret, je regardais le film presque tous les jours.
T’étais quel genre d’ado à cette époque ?
Dès que je voulais apprendre j’étais bon, mais dès que ça me cassait un peu la tête j’ouvrais mon cahier et j’écrivais des textes, j’étais quand même un peu relou faut l’assumer. À l’école il y a beaucoup d’inégalités, les profs ne sont pas pareil avec tout le monde, et quand tu arrives à l’école, et qu’un prof te parle mal, alors que tu es déjà dans des pensées sombres, c’est compliqué.
Tu as fait quoi comme études ?
À la base je voulais faire un bac pro audiovisuel et multimédia mais j’ai été accepté qu’en secrétariat, y’avait que des meufs ça m’a pas plu, du coup je suis retourné dans la rue pendant un an et demi. Après j’ai tout fait pour réintégrer un parcours audiovisuel, mais même quand j’ai réussi, ça n’a pas forcément marché, parce que j’avais déjà fait un trop gros écart avec l’école, j’avais déjà goûté aux sous dans la rue, c’était plus facile.
Pourquoi l’audiovisuel ? Tu commençais à clipper à cette époque ?
J’ai toujours voulu faire ça, j’ai fait beaucoup de montage. Grâce à mon daron j’avais eu l’occasion de faire des montages pour des troupes de théâtre au bled, qui ont plutôt bien marché.
Et quand est-ce que tu es passé d’auditeur à rappeur ?
Mon grand frère il écrivait, les grands de chez moi aussi à la Banane. Un jour on s’amusait avec des potes à faire des clashs, et tout le monde a kiffé et m’a dit que j’écrivais bien, dans le délire j’avais rien à faire, donc j’ai écrit mon premier solo. Petit à petit j’aimais bien aller au studio c’était nouveau tout ça pour moi
De base tout le monde m’appelle Jo, le pheno c’est dès que j’ai commencé à rapper, à l’époque des clashs justement. Quand j’ai commencé à faire de la musique, les mecs qui étaient en place c’était Sefyu, Rohff, Booba, des mecs qui avaient une vraie plume, moi j’étais juste un petit qui écrivait des rimes. Et après j’ai commencé à comprendre que c’était peut-être possible, en voyant des personnes autour de moi réussir.
Tu viens de la banane dans le 20ème arrondissement de Paris, est ce que tu peux nous décrire ce quartier?
La Banane c’est un quartier à part, c’est là où j’ai tout fait. Il y a des quartiers dans la capitale, mais chez nous c’est différent. Quand tu marches à la Banane, tu vois des trucs abandonnés, quand on faisait des choses autres que galérer, on prenait des vélos, on allait au bois de Vincennes, il y avait des collectifs qui s’occupaient des jeunes pour essayer de nous sortir de la précarité, mais les jeunes aujourd’hui ils n’ont plus tout ça. La richesse tu la vois partout autour de toi, dans Paris. On est à 15 minutes de la place de République, ou de Nation
Il a été connu du grand public il y a deux ans avec Moha la Squale et sa célèbre Rue Duris, c’était ton gars non ?
Moi j’ai fait de la musique avant lui, avant qu’il fasse de la musique il était dans tous mes clips. Quand il a commencé à faire du son il a représenté le tieks au grand public, aujourd’hui on fait de la musique chacun de notre côté.
La grosse actualité de ta carrière, c’est l’histoire autour de ton clip “Bavure”, est ce que tu peux me la raconter ?
Bavure, en fait c’est un morceau que j’ai écrit en 2016, à un moment où il y avait énormément de bavures policières sur la toile. Un jour j’étais dans mon quartier, et les keufs sont venus pour nous braquer. J’avais le seum, j’étais là “bellek ils vont nous faire une bavure à nous aussi”, parce que pour de vrai quand il nous braquait, le keuf tremblait avec son pistolet.
Pour les faire chier, j’ai dit que j’allais faire un freestyle, j’ai un pote qui a commencé à filmer avec son téléphone et c’est parti, je fais le freestyle avec les keufs derrière moi. Ça a tourné de ouf sur Facebook. ça c’est avant “Bavure”, mais du coup après ce freestyle j’ai eu l’envie de partir en studio enregistrer un morceau sur tout ça et en faire un vrai clip.
Le problème, c’est que dans le clip, on voyait la tête des policiers, donc ils ont pas voulu laisser passer ça, après le freestyle. Je me réveille un beau matin, mon téléphone rempli de notification, je vois ma tête avec “incitation à la haine envers la police” sur des comptes d’extrême droite, Marine Lepen qui retweet … Le lendemain, je suis au studio, je reçois que des appels, on me dit que je passe sur BFM , je regarde et là j’apprends que j’ai une plainte contre moi déposée par le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve. Alors que j’avais encore rien reçu moi.
Tu le referais ce morceau en connaissant ce qu’il a entraîné ?
Moi je fais pas de la musique par haine, je fais de la musique pour raconter ma vie, donc si la police fait partie de ma vie, je vais en parler dans mes morceaux. C’est mon droit. Donc si c’était à refaire, je le referai 100 fois. Avec le recul, je pense que devant la juge j’ai dit les bonnes choses, mais j’allais pas être non coupable, c’était une plainte du ministre de l’intérieur.