Rap et Cinema : ça flingue en Amérique
10 décembre 2024
Martin Vachiery
Le lien entre le Rap et le cinéma est… aussi vieux que le Rap. Dès ses débuts, ce genre musical par sa spontanéité, son originalité et sa subversion a toujours attiré l’attention des producteurs d’Hollywood. Et ça commence dès les années 1980. Le cinéma américain ouvre grand ses portes aux rappeurs, propulsant certains d’entre eux au rang de véritables icônes culturelles. Mais cette union entre hip-hop et septième art est bien plus qu’une simple incursion musicale : elle témoigne d’une alchimie unique où les récits de la rue viennent enrichir le storytelling hollywoodien. Voici une plongée dans cet univers fascinant, émaillée de films disctutables et de performances marquantes.
Du Micro à la caméra, les rappeurs américains se sont peu à peu imposés à Hollywood. Pas juste comme des figures caricaturales ou des cameos faciles, mais comme des acteurs, des producteurs, parfois même des réalisateurs qui ont redéfini la façon dont on raconte des histoires.
Ice Cube : du gangster au gentil tonton
Avant d’être Calvin, le boss sympathique de Barbershop, ou le papa maladroit de Are We There Yet?, Ice Cube était surtout connu pour ses rimes tranchantes avec N.W.A. Son début au cinéma remonte à 1991 dans Boyz n the Hood, un classique signé John Singleton. Son rôle de Doughboy, un jeune des quartiers défavorisés de Los Angeles, a marqué toute une génération. Singleton, fan de rap, avait écrit le rôle en pensant à Cube avant même de lui demander de passer une audition. L’importance de ce film va largement dépassé les ghettos américains, puisqu’il va influencer une génération entière de rappeurs à travers le monde.
Depuis, Ice Cube a jonglé entre son passé gangsta et des rôles plus grand public, prouvant qu’il peut être aussi drôle que touchant. Transmission oblige : dans Straight Outta Compton (2015) c’est son propre fils, O’Shea Jackson Jr. qui incarne Ice Cube. Avec une ressemblance presque troublante et une énergie authentique, O’Shea crève l’écran en donnant vie au jeune Cube. Perfectionniste, son père lui a imposé deux ans de cours d’art dramatique avant même d’être officiellement choisi pour le rôle. Un pari gagnant.
Tupac Shakur : l’étoile filante
La carrière d’acteur de Tupac est à peine plus courte que sa carrière de rappeur. En 1992, il crève l’écran dans le cultissime Juice. Son rôle de Bishop, un jeune homme en colère et instable, reste l’une des performances les plus marquantes des « hood films » des année 90. Ce qui rendait Pac unique, c’était sa capacité à incarner des personnages complexes tout en puisant dans ses propres expériences de vie.
Son investissement total dans son rôle brouillait les frontières entre fiction et réalité. Dans un Hollywood pas encore à 100% à l’aise avec les rappeurs, sa prestation avait crée une ambiance intense et intimidante dans les coulisses, qui se ressent à l’écran. Cela aurait causé quelques tensions sur le plateau, notamment avec ses co-acteurs, qui avaient parfois du mal à faire la distinction entre le rappeur et son personnage.
Will Smith : le Fresh Prince devenu roi d’Hollywood
Si vous êtes nés après 2000, impossible pour vous d’imaginer que Will Smith était avant tout un rappeur. Car Will est le genre de gars qui transforme tout ce qu’il touche en or (demandez à Chris Rock). Après avoir triomphé dans la série mythique The Fresh Prince of Bel-Air (1990-1996), il s’est lancé dans le cinéma et a empilé les succès commerciaux et populaires: Men in Black, Independence Day, Ali… Pourtant, tout n’était pas gagné d’avance. Fun fact : Will avait initialement refusé le rôle de Neo dans The Matrix (qu’il regrette encore aujourd’hui) pour jouer dans Wild Wild West, une énorme bouse et un flop monumental.
Mais sa carrière continue de grimper, il enchaîne les blockbusters en passant par des comédies ou des films plus intello, avant de connaître un gros passage à vide après le « gifle gate » aux Oscars en 2022.
Queen Latifah : la OG Mama
Queen Latifah, c’est la preuve qu’on peut être une femme noire, issue de la culture hip-hop, et braquer l’industrie du cinéma. En 1996, elle épate dans Set It Off, un film de braquage où elle joue une lesbienne badass prête à tout pour survivre. Et puis il y a Chicago (2002), qui lui vaut une nomination aux Oscars.
Latifah a toujours réussi à imposer son charisme naturel, que ce soit dans des comédies comme Bringing Down the House (2003) ou des drames poignants. Une carrière d’actrice qui a failli s’arrêter après un accident de moto qui l’avait gravement blessée en 1998. Heureusement elle s’est en sortie et a enchainé plus de 40 films dans sa carrière, elle est l’artiste hip-hop féminine avec la plus grosse filmographie.
Snoop Dogg : toujours cool mais pas toujours au top
Snoop Dogg, c’est l’oncle cool, l’incarnation de la weed life californienne, bref une icône de pop culture à part entière, dont les jeunes générations ne connaissent même plus les morceaux de Rap, tant son image et son charisme ont fait sa légende. Avec sa voix traînante et son attitude à la fois nonchalante et pleine d’assurance, il a laissé une empreinte unique dans tous les rôles qu’il a joués, même les plus improbables. On se souvient de lui dans son mini rôle dans Training Day (2001) aux côtés de Denzel Washington, où il incarne un détenu handicapé capable de manipuler tout le monde depuis son fauteuil roulant. Mais là on doit surtout vous parler d’un film aussi mythique que nul : Bones (2001). Dans ce film d’horreur, Snoop joue ni plus ni moins qu’un esprit vengeur revenu d’entre les morts.
Bones avait tout pour être un giga classique du genre : un réalisateur passionné, une ambiance gothique, et Snoop Dogg en anti-héros spectral. Mais arrêtons le suspense directement, si le film est devenu culte pour une partie du public, c’est plus pour son côté kitsch et grand guignol que pour ses frissons. Pourtant, Snoop, fidèle à lui-même, s’est amusé comme un foufou sur le tournage. Il improvisait plusieurs de ses répliques, ajoutant sa touche personnelle à un scénario complètement foireux. « Je voulais faire un film que mes fans pourraient regarder en fumant un gros joint », a-t-il confié un jour, well, job done Snoop. C’est au moins ce qu’il faut pour apprécier ce nanard.
Eminem : un Classique et puis s’en va
Eminem n’a tourné qu’un seul vrai film, mais quel p*tain film : on parle bien sûr de 8 Mile de Curtis Hanson en 2002. Un biopic semi-autobiographique, devenu complètement culte, avec une performance largement saluée par la critique. Pendant le tournage, Eminem écrivait souvent des textes entre les prises, dont certains sont devenus des morceaux de son album The Eminem Show.
Perfectionniste et obsédé par son rôle, il restait parfois sur le plateau 16 heures par jour, même sans même apparaître à l’écran. Enfin, la scène de battle finale, a été filmée… en une seule prise. Un moment de légende qui a inspiré tous les artistes de la scène battle Rap, des USA, au Canada en passant évidemment par la France.
50 Cent : prendre de l’argent sans jamais mourir
50 Cent n’a pas juste raconté sa vie dans Get Rich or Die Tryin’ (2005). Il a montré qu’il était capable de se réinventer. Ce film, inspiré de son parcours, est une plongée brutale dans le monde du crime et de la survie. Largement inférieur à 8 Mile, le film a réussi à toucher une autre génération de rappeurs. Mais 50 n’est pas resté coincé dans les biopics : il a également fait quelques incursion, peu marquée, dans films de bagarre comme Southpaw (2005) ou Den of Thieves (2018).
Les nouveaux visages : fini la hype ?
Aujourd’hui, des artistes comme Kendrick Lamar commencent timidement à faire leur place à Hollywood. Kendrick a fait une apparition remarquée dans la série Power, produite par 50 Cent, et son jeu a surpris tout le monde. Megan Thee Stallion, de son côté, a récemment été aperçue dans She-Hulk sur Disney+, montrant qu’elle peut aussi amener son énergie unique sur les écrans. Deux exemples qui illustrent aussi à quel point la nouvelle génération de rappeurs intéressent moins Hollywood.
A quelques exceptions marquées comme Hustlers (2019), avec Cardi B et Lizzo dans des rôles de danseuses impliquées dans une arnaque, ou encore Uncut Gems (2019) avec Adam Sandler où The Weeknd joue son propre rôle, on trouve peu d’exemples marquants de rappeurs au cinéma dans les années 2010 – 2020.
Conclusion : une influence qui transcende les genres
Le rap et le cinéma, c’est une histoire d’amour qui a commencé très fort, qui a installé des acteurs sur le long terme, mais qui tarde un peu à se renouveler. Pourtant, de la rue aux tapis rouges, les rappeurs américains ont prouvé qu’ils étaient des artistes complets et populaires. Et quand on voit la nouvelle génération d’artistes, on ne peut que espérer un renouveau du genre, pour que l’avenir du cinéma continue de s’écrire au rythme du hip-hop.