Une journée dans le meilleur squat de Bruxelles
26 mars 2018
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Une quinzaine de structures œuvrent pour une occupation pacifique, organisée et clean des bâtiments inoccupés à Bruxelles. On a passé la journée dans le plus emblématique des squats de la capitale: le 123.
C’est une facette bien méconnue de la ville. Dans les quatre coins de Bruxelles, des citoyens cherchent une alternative aux prix parfois exorbitants imposés par les propriétaires. S’il existe des squats où les occupants vivent dans des conditions de vie extrêmement précaires, tous les squatteurs de la ville n’appartiennent pas à cette catégorie. Ce que l’on retrouve bien souvent, ce sont des occupations en accord avec les propriétaires, généralement limitées dans le temps.
Depuis bientôt 11 ans, 55 adultes et 10 enfants cohabitent ainsi de manière structurée et constructive dans le “123”, un ancien immeuble haut de 7 étages, ancienne propriété de la Région wallonne.
Les habitants du 123 sont nombreux à se révolter contre la nouvelle loi “anti-squat”, qui pénalise l’occupation illégale de bâtiments.
Les pieds dans le beurre
Au 123, pas de sonnette. On y entre grâce à un badge comme dans n’importe quel bâtiment hébergeant des bureaux. Nous n’avons pas rendez-vous, et c’est une des occupantes qui nous ouvre et nous mène à la cuisine du 4ème étage. Dans le four qui ronronne, un plat cuit derrière une vitre pour le moins trouble. La pièce est rudimentaire, mais tout est bien rangé. Sur la porte, un mot incite les occupants à ce que cet ordre soit maintenu.
Nous y rencontrons un deuxième habitant, Gary, qui nous explique de son bel accent irlandais que la convention avec la Région “walloon” se terminera au mois d’octobre. Pas de douzième bougie pour le 123 donc, et ses membres vont devoir quitter les lieux avant cette date fatidique. “On essaye de chercher une alternative, mais ce sera en tout cas difficile pour certains après avoir vécu 10 ans les pieds dans le beurre, dans un endroit où des choses magnifiques se passent”, confie Adrien, co-président de l’association et occupant depuis les premiers jours du 123.
Squat: mode d’emploi
Au mois d’octobre, ce sera donc back to square one pour les occupants du 123. Heureusement, d’après Gary, qui n’en est pas à sa première constitution de dossier d’occupation précaire, Bruxelles dispose de “millions de mètres carrés de bureaux totalement vides”.
Gary est un artiste plasticien Irlandais atteint de narcolepsie. Il a emménagé au 123 il y a 5 ans, ne pouvant se payer un loyer durant ses études.
Dans la cuisine, nous rencontrons également Steven, qui vit au 123 depuis 2 ans. Il nous décrit comment procéder pour s’établir dans un lieu abandonné : “On commence souvent par nettoyer l’endroit, montrer qu’on n’est pas là pour tout saccager. Car c’est souvent de cela que les gens ont peur ; se retrouver avec des personnes ingérables dans leur propriété. On essaye donc de les rassurer, de leur expliquer qu’on est là aussi pour sécuriser le bâtiment car il s’avère souvent qu’il est très facile d’y entrer. Du coup, ils comprennent qu’il est préférable d’avoir des occupants qui nettoient, réparent les fuites d’eau, et font fuir les pigeons plutôt que de laisser la propriété à l’abandon avec tout ce que ça implique. Et quand on arrive effectivement à nouer le dialogue, cela débouche sur une convention d’occupation et on ne paye que les charges”.
Steven fait partie des organisateurs d’occupations dans plusieurs lieux de Bruxelles en plus du 123.
Un crime ?
Depuis le 5 octobre 2017, les occupations illégales sont passibles de 15 jours à 2 ans de prison. Pour les propriétaires, l’expulsion est désormais rendue possible en 8 jours, alors que les occupants disposaient auparavant de 2 à 3 mois pour trouver un plan B. Pour Steven, qui met en œuvre des occupations dans plusieurs lieux en plus du 123, il s’agit d’une véritable aberration.
“Le délai de négociation dont nous disposions après être entrés dans un lieu n’existe plus désormais”, regrette-t-il. “Or, quand on se penche un peu sur un projet comme le nôtre, on réalise qu’il a un impact social indéniable avec notamment des nuitées d’urgence et de nombreuses personnes qui arrivent à reconstruire leur vie grâce à la stabilité qui leur a été offerte. L’état est prêt à investir des millions dans des structures comme le Samusocial, mais si l’initiative provient des citoyens, des pauvres qui s’organisent eux-mêmes, c’est l’horreur”.
Plan de secours
Comme l’indique Steven, les projets comme celui du 123 ont une conséquence double sur la vie de leurs occupants. La première étant tout simplement de leur offrir un toit, la deuxième de leur donner une seconde chance, un espoir de stabilité. “Nous avons, par exemple, une habitante qui était sans papiers, et qui a pu, petit à petit, se régulariser grâce au fait qu’elle avait un logement fixe”, explique Adrien. “Elle est ensuite devenue chef d’atelier en couture, et a même pu engager une autre personne qui vivait ici. Qu’elle ait pu réussir grâce à la dynamique collective proposée est assez beau et symbolique au final.”
Reste évidemment à nuancer le constat: tout n’est pas toujours rose au 123. Même si globalement tout le monde se connaît, et que la sécurité est garantie par les badges et les verrous à chaque chambre, des conflits surviennent parfois dans le bâtiment. Et peuvent conduire à l’exclusion d’un membre de la communauté. “Cela arrive, même si c’est rare et douloureux”, explique Steven. “Quand on se rend compte qu’une personne n’est pas dans une dynamique sympathique avec les autres, qu’elle ne participe pas aux activités communes et ne paye pas ses charges, on se dit qu’il faut l’expulser étant donné qu’elle ne nous apporte rien et qu’elle est nocive”.
Afin d’éviter ce genre d’isolement, plusieurs initiatives sont organisées : une réunion hebdomadaire afin de répartir les responsabilités au sein du squat, des ateliers-vélo, une table d’hôtes, des soirées à thème… Au fil des années, la communauté du 123 est devenue une véritable mini-société alternative, répondant aux besoins de chacun avec les moyens du bord. Reste donc à espérer que Gary ait raison, et qu’il existe effectivement de nombreux autres bâtiments susceptibles d’accueillir les habitants du 123, pour lesquels ce mode de vie alternatif est devenu si important.
Simon Breem (auteur invité)